The presence of geoheritage of international value is the basis of any candidature as a UNESCO Global Geopark. Within the framework of the elaboration of a roadmap for the creation of a UNESCO Global Geopark in South-East Tunisia, a geological and geomorphological study was carried out. The selected geoheritage can be divided into two main families : palaeontological and sedimentological sites, which provide complete documentation of the opening of the southern Tethysian margin, from the Triassic to the Cretaceous, and geomorphological and landscape sites (cultural geomorphosites), which offer an exceptional range of adaptations of human societies to the morphoclimatic context. This analysis of the geoheritage is the basis for the implementation of a strategy of geoconservation, geotouristic enhancement and, ultimately, the creation of a geopark in the Djebel Dahar. It demonstrates the importance of the interrelationships between the cultural, tangible and intangible, heritage and the geomorphological context.
La question des géoparcs a émergé au niveau international en 2000, avec la création du Réseau européen des géoparcs
(
En Tunisie, les recherches géopatrimoniales restent encore relativement limitées et le pays ne dispose pas d'un inventaire national du géopatrimoine. Les processus de valorisation du patrimoine géologique ont débuté à la fin des années 1990 par une série de réflexions menées au sein de l'Office National des Mines (ONM) sur les potentialités touristiques des géosites tunisiens, notamment dans la région du Sud-est (Ouaja, 2001), et sur les possibilités de création d'un ou de plusieurs géoparcs sur le territoire tunisien (Bouchard et al., 2008). A la suite de la Déclaration de la Mémoire de la Terre de Digne en 1991 (Martini, 1994), un projet de sauvegarde et de mise en valeur du patrimoine géologique a été programmé par l'ONM et, pour sensibiliser le large public à l'importance de ce patrimoine, deux associations ont été créées : l'Association des Amis de la Mémoire de la Terre (AAMT) en 2000, puis l'Association de la Mémoire de la Terre de Tunisie en 2012; en 2000 également est ouvert le Musée de la Mémoire de la Terre de Tataouine et l'ONM organise son premier colloque scientifique sur le patrimoine géologique. Six éditions ont eu lieu à ce jour. Parallèlement, quelques études géopatrimoniales régionales ont été réalisées, par exemple dans la région de Tozeur (De Waele et al., 2005; Gasmi et al., 2016) ou El Kef (Ben Haj Ali et al., 2015). Les interrelations entre patrimoine géomorphologique et culturel ont également fait l'objet de quelques travaux (Ben Ouezdou, 2001; Bouckhchim et al., 2018).
En 2014, l'ONM a entamé une démarche pour la création d'un
géoparc, avec une focalisation sur le Sud-est du pays, caractérisé par un patrimoine paléontologique particulièrement riche. En 2016, un mandat a été donné par
l'ONM à la Fondation Swisscontact afin d'établir une feuille de
route pour la création d'un géoparc. Cette étude a été
financée par le Secrétariat d'Etat à l'économie (SECO) de la
Confédération suisse dans le cadre des efforts de développement
de formes de tourisme alternatif dans le Sud tunisien, comme compléments
au tourisme balnéaire et saharien (
Cette étude comprenait plusieurs volets : (i) un état des lieux
géologique, géographique, socio-économique et patrimonial de la
région du Dahar (Fig. 1) qui devait préciser le contexte territorial
et les conditions sociologiques de la région dans laquelle le géoparc pourrait être implanté; (ii) la définition d'un périmètre potentiel du géoparc et une analyse du patrimoine géologique et géomorphologique à l'intérieur de ce périmètre, assortie d'une étude des potentialités géotouristiques de ce patrimoine; (iii) l'établissement d'une feuille de route pour la création du géoparc tenant compte des attentes de l'UNESCO et des conditions locales. L'étude a fait l'objet de deux restitutions à Médenine et à Tunis, en février et juillet 2018, et l'équipe de recherche a rendu son rapport en mai 2018 (Reynard et al., 2018). Depuis 2019, l'ONM développe le projet de géoparc dans le Sud-est tunisien en collaboration avec différents partenaires italiens, dans le cadre du projet GEO MED GIS (
Localisation et grands traits du relief du Dahar. F1 – Faille de Tegaba; F2 – Faille de Zemlet el Ghar; F3 – Faille de Briga.
Cet article rend compte de l'analyse du patrimoine géologique et géomorphologique du Djebel Dahar – volets (i) et (ii) de l'étude mandatée par l'ONM; Reynard et al., 2018. Après un bref retour sur le géopatrimoine comme base pour les géoparcs mondiaux UNESCO et pour le géotourisme, nous présentons le contexte géographique et géologique du Djebel Dahar, un élément de la plateforme saharienne, avant de discuter du périmètre potentiel du géoparc. Puis, nous proposons une liste préliminaire de géosites mettant en évidence la richesse et la valeur internationale du géopatrimoine de la région d'étude. Enfin, nous discutons du potentiel de développement géotouristique découlant de cette richesse territoriale. L'article ne traite pas des jeux d'acteurs dans la création du géoparc, ni de l'analyse des conditions locales, du soutien des communautés locales, ainsi que des conditions institutionnelles pour la mise en œuvre du projet de géoparc. Comme le titre l'annonce, il se focalise uniquement sur l'étude du patrimoine géologique et géomorphologique comme base pour la création d'un géoparc.
La recherche sur les géopatrimoines, qui regroupent autant les éléments géologiques patrimoniaux
L'UNESCO considère les géoparcs mondiaux UNESCO comme «des espaces géographiques unifiés, où les sites et paysages de portée géologique internationale sont gérés selon un concept général de protection, d'éducation et de développement durable. […] Ils valorisent les richesses géologiques des sites en lien avec tous les autres aspects de leur patrimoine naturel et culturel, en vue d'améliorer la prise de conscience et la compréhension d'enjeux de société importants sur la planète dynamique qui est la nôtre» (UNESCO, 2015). L'évaluation de l'importance géologique internationale n'est pas fondée sur des critères précis (Brilha, 2018), si ce n'est sur «une évaluation comparative mondiale fondée sur des travaux de recherche portant sur des sites géologiques de l'espace concerné publiés et examinés par des pairs» (UNESCO, 2015). Pour ce qui concerne le patrimoine géologique, toute candidature doit (i) décrire la géologie générale du géoparc candidat; (ii) proposer une liste et une description des géosites; (iii) détailler l'intérêt de ces sites selon leur portée internationale, nationale, régionale ou locale; (iv) proposer une liste et décrire les autres sites qui ont un intérêt patrimonial naturel, culturel et immatériel, préciser de quelle façon ils sont liés aux sites géologiques et comment ils sont intégrés dans le géoparc candidat (UNESCO, 2015). Le dossier de candidature doit également mener une analyse des pressions de toute nature, actuelles et futures, sur les géopatrimoines, sur leur degré de protection et sur la stratégie de géoconservation prévue.
Le géotourisme peut être considéré comme une forme de tourisme à l'interface entre le tourisme culturel et le tourisme de
nature (Pralong, 2006), qui vise à faire découvrir les spécificités géologiques et géomorphologiques d'une
région (Hose, 2000, 2012; Dowling and Newsome, 2006). Bien que la
découverte touristique des composantes géologiques du territoire ait
une longue histoire remontant au XVIII
Le Dahar se caractérise par son faible poids démographique par rapport au Sud-est et à la Tunisie. Les gouvernorats de Gabès, Médenine et Tataouine formant le Sud-est tunisien s'étendent sur 33 % de la superficie du pays et ne comptent que 9,13 % de sa population en 2014 soit 1 003 273 habitants (INS, 2014). La majorité de cette population (80 %) est concentrée dans les villes chefs-lieux des gouvernorats et les délégations littorales. Mis à part la ville de Tataouine, la population du Dahar ne dépasse pas 70 000 habitants, soit 7 % seulement de la population de tout le Sud-est tunisien. La délimitation proposée du géoparc du Dahar (cf. Sect. 3.3), dépassant le plateau pour s'étendre sur des parties de la plaine de la Jeffara et inclure des délégations littorales, fait augmenter considérablement la population du géoparc à 332 000 habitants (INS, 2014; Tableau 1).
Evolution du nombre d'habitants des délégations du géoparc du Dahar.
Source : Recensements de la population et de l'habitat de l'Institut National de la Statistique, 1984, 1994, 2004 et 2014 (
Soldes migratoires intérieur et avec l'étranger pour quelques délégations du Dahar (2009–2014).
Source : Recensement de l'INS de (2014).
Le taux de croissance de la population du Sud-est a diminué, passant de
0,98 % pour la période 1994–2004 à 0,88 % pour la période 2004–2014. Dans la partie septentrionale du Dahar (Région de Matmata), le taux de croissance a enregistré des valeurs négatives, passant de
Cette diminution de la population s'explique par le solde migratoire négatif de l'ensemble du Sud-est qui est passé de
Le Dahar appartient à l'étage bioclimatique aride supérieur
à hiver tempéré (Henia, 1993, 2008; Ferchichi, 1996; Abderrahmen, 2009). Les pluies à caractère torrentiel ont une moyenne annuelle inférieure à 200 mm et atteignent 220 mm sur les hauteurs de Kef Ennsoura; avec une grande variabilité selon les lieux et les années, les oueds ne sont en charge que quelques jours par année. Les moyennes annuelles des températures sont élevées et se situent autour de 19
Exemples de bilan hydrique climatique (Pluie/ETP) de Gabès
Le Sud-est de la Tunisie occupe la bordure nord-orientale de la plateforme saharienne. Celle-ci constitue le début du craton africain proprement dit et est bordée au nord par l'une des plus grandes et anciennes failles ayant affecté le continent africain, l'Accident Sud Atlasique (ASA), qui se développe sur environ 2000 km depuis Agadir au Maroc jusqu'au golfe de Gabès dans le Sud tunisien (Ben Ayed, 1986; Barrier et al., 1993; Raulin et al., 2011). Cet accident apparu il y a environ 300 millions d'années a permis la naissance et l'extension de l'océan fossile Téthys où se sont déposées les différentes formations géologiques du Sud-est de la Tunisie (Busson, 1967, 1972). Bien que réputée tectoniquement stable, la plateforme saharienne est affectée par des accidents profonds dont les trois principaux sont la faille de Tebaga (F1 sur la Fig. 1) qui longe le chaînon montagneux du même nom et qui s'est manifestée depuis la fin du Paléozoïque, la faille de Zemlet el Ghar au nord de la ville de Tataouine (F2) et la faille de Briga à une dizaine de kilomètres au nord de la ville de Remada (F3) (Ouaja, 2003). Ces failles orientées E–W sont à l'origine des importantes variations des faciès et des épaisseurs des couches géologiques observées tout au long des cuestas (Castany et De Lapparent, 1952; Busson, 1967; Bouaziz, 1986, 1995; Ben Ismail, 1991; Ouaja, 2003) qui forment le paysage géomorphologique du Dahar.
Les séries stratigraphiques qui affleurent au niveau des fronts des cuestas du Dahar constituent une fenêtre unique sur le sous-sol de la plateforme saharienne (Aubert, 1891; Pervinquière, 1912; Busson, 1967; Tlig, 2015). L'histoire géologique de cette dernière est intimement liée à l'ouverture progressive de la mer téthysienne depuis la fin du Paléozoïque et aux fluctuations de ses eaux sur la plateforme durant le Mésozoïque (245 à 70 millions d'années). Bien marquées dans l'enregistrement sédimentaire, ces fluctuations de la Téthys ont été largement contrôlées par les manifestations tectoniques et les changements climatiques (Busson, 1967; Ben Ismail, 1991; Bouaziz et al., 2002; Courel et al., 2003; Ouaja, 2003; Bodin et al., 2010). Les affleurements sont subdivisés en plusieurs unités lithostratigraphiques qui constituent les marches d'une échelle incontournable pour remonter dans les temps géologiques et reconstituer l'histoire de la plateforme saharienne (Mejri et al., 2006).
Le Djebel Tebaga de Médenine (Fig. 3) constitue le plus ancien affleurement et le seul terrain du
Carte lithostatigraphique de la zone pressentie pour constituer le Géoparc du Dahar et localisation des 29 géosites sélectionnés.
Bloc diagramme illustrant l'organisation des terrains mésozoïques à travers les cuestas de Rehach, de Djebel Labiadh et de la région de Douiret (Taamallah, 2015). Voir la localisation du Jebel Rehach et de Douiret sur la Fig. 1. Les terrains du Jurassique et du Crétacé forment la cuesta principale (quadruple) et les couches du Trias forment une cuesta secondaire.
Les séries du
Au cours du
Coupes synthétiques simplifiées des formes structurales
Le Dahar est l'un des plus importants ensembles de reliefs qui forment le Sud-est de la Tunisie. D'abord appelé Djebel Matmata, dans sa partie septentrionale, le Dahar prend l'appellation de Djebel Demmer à partir de la région de Beni Khedache et Djebel Labiadh dans la région de Tataouine. Vers l'est, il domine la plaine littorale de la Jeffara et la plaine d'El Ouaara par un puissant escarpement. Vers l'ouest, il s'ennoie progressivement sous les dunes du Grand Erg Oriental (Sahara). Le Dahar est formé par deux ou plusieurs plateaux étagés, alignés grossièrement NNW-SSE et culminant à 713 m à Kef Ennsoura. Ces plateaux correspondent à des cuestas taillées dans des binômes de couches géologiques compétentes (calcaires et dolomies) surmontant des alternances dominées par des couches tendres (argiles, marnes, grès, gypses, etc.) datant du Trias, du Jurassique et du Crétacé, légèrement inclinées vers l'ouest. Dans la partie méridionale, une cuesta quadruple, dédoublée au sud de Tataouine, à l'ouest de Djebel Abiadh, forme un paysage géomorphologique spécifique (région de Douiret). Devancées par plusieurs buttes-témoins, lanières et petits chaînons tel que le Djebel Tebaga de Médenine (320 m), ces cuestas sont disséquées et séparées par un réseau hydrographique hiérarchisé et enchevêtré. Les vallées sont tantôt étroites et compactes, prenant la forme de canyons, tantôt larges et aérées prenant l'aspect de cuvettes. L'écoulement temporaire s'organise en bassins versants de tailles variables. Les oueds coulent principalement en direction de l'ouest pour atteindre les premières dunes du Grand Erg Oriental et sont appelés localement «Dahari», ou en direction de l'est pour atteindre la mer ou les sebkhas et sont appelés «Jeffari» (Ben Fraj et al., 2019).
Le paysage géomorphologique actuel est le résultat d'une longue évolution qui a été commandée, à partir du Tertiaire et tout au long du Quaternaire, par les processus morphogéniques liés aux fluctuations du climat et qui ont mis en place un riche héritage de modelés et dépôts quaternaires. Alors qu'au niveau des piémonts s'étendent les glacis et les cônes de déjection, un système de terrasses a été élaboré dans les vallées (Fig. 5b). Le comblement partiel de ces vallées et des cuvettes par les dépôts de sables fins (lœss) est parmi les plus importantes actions morphogéniques quaternaires (Regaya, 1985; Ben Ouezdou, 1986; Ballais et al., 1988; Coudé-Gaussen, 1989; Ben Fraj, 2012a, b; Ben Fraj et al., 2019) (Fig. 6).
Coupe synthétique dans les dépôts éoliens des vallées et cuvettes. 1 – Dolomies massives à rognons de silex du Crétacé supérieur (Turonien); 2 – Calcaires et marnes du Crétacé supérieur (Sénonien); Q – Formes et formations du Quaternaire où dominent les limons éoliens : Q1 – Conglomérat hétérométrique de galets et blocs anguleux, à matrice sablo-limoneuse beige, scellé par un poudingue. Le dépôt contient des pièces lithiques du Paléolithique moyen; Q2 – Dépôt de limons beiges d'origine éolienne très riches en concrétions calcaires; Q3 – Croûte calcaire feuilletée, épaisseur 10 cm; Q4 – Dépôt de limons beiges, très riches en concrétions calcaires; Q5 – Dépôt de limons à concrétions calcaires sous la forme d'un horizon rouge; Q6 – Dépôt de limons beiges à concrétions calcaires, épaisseur moyenne 3 m; Q7 – Deuxième niveau de dépôt de limons sous la forme d'un horizon rouge; Q8 – Dépôt de limons beiges à concrétions calcaires, épaisseur moyenne 1 m; Q9 – Limons roses d'origine éolienne, peu compacts et à concrétions calcaires. La surface du dépôt Q9 surmontant le Q1 est jonchée de pièces de silex taillé de l'Epipaléolithique/Néolithique; A – Cours actuel (oued).
Ce paysage constitue un géopatrimoine d'une valeur importante aussi bien
pour l'étude scientifique que pour la valorisation touristique. Ses
composantes peuvent être qualifiées de sites géoculturels (Reynard and Giusti, 2018). En effet, dans le cas du Dahar, le patrimoine
culturel matériel s'est constitué autour de trois éléments
fortement liés à la géomorphologie (Louis, 1975; Zaied, 1992;
Ben Ouezdou, 2001; Ben Ouezdou et Trousset, 2009; Boukhchim, 2011; Boukhchim et al., 2018; Reynard et al., 2018; Ben Fraj et al., 2019; Calianno et al., 2020). Le premier englobe les
La délimitation du géoparc s'est basée essentiellement sur les caractéristiques géologiques et géomorphologiques du Dahar. D'abord, les critères géologiques ont permis de délimiter une aire où sont représentées les différentes unités morphostructurales du Dahar (Fig. 3) ainsi qu'une partie de la plaine de la Jeffara. Cette délimitation a également pris en considération le spectre le plus large possible de temps géologiques, allant du plus ancien affleurement et seul terrain paléozoïque de Tunisie (chaînon du Djebel Tebaga de Médenine) aux dépôts pléistocènes et holocènes, et même aux processus actuels, sur le littoral du golfe de Gabès. Enfin, elle obéit à la répartition spatiale des 29 géosites retenus. Cette délimitation ne tient compte ni de critères politico-administratifs (limites de gouvernorats ou de délégations), ni de critères économiques, ni de la présence de sites patrimoniaux (non géologiques) ou touristiques. C'est dans le cadre de la mise en œuvre de la feuille de route que le périmètre final du géoparc pourra être délimité en tenant compte notamment de critères socio-économiques et administratifs.
Il existe de nombreuses méthodes d'évaluation des géopatrimoines (Mucivuna et al., 2019). Parce qu'elle inclut des critères scientifiques, pédagogiques et patrimoniaux et qu'elle a été développée spécifiquement pour une étude préliminaire des géopatrimoines à l'échelle régionale, nous avons repris partiellement celle développée dans le cadre du projet de Géotraversée du Jura (CalcEre, 2013) et suivi trois étapes principales : (i) identification de sites potentiels; (ii) présélection basée sur des critères d'intérêt géologique et patrimonial; (iii) établissement de fiches descriptives succinctes des sites. Il ne s'agit pas d'un inventaire exhaustif mais d'une liste de sites présentant un potentiel pour le géoparc.
Dans un premier temps, sur la base des connaissances de terrain des auteurs, de la consultation de documents cartographiques et bibliographiques et de travaux d'inventaire déjà réalisés dans le cadre du projet Destination Djebel Dahar (Ben Ouezdou et al., 2016), les sites potentiels ont été recensés et classés en différentes catégories : sites paléontologiques, sédimentologiques, géomorphologiques (géomorphosites), géoarchéologiques, paysagers, etc., pour un total de 80 sites. Les sites paysagers présentent une composante paysagère harmonieuse sans pour autant que celle-ci soit directement associée au contexte géologique et géomorphologique. Une fois les sites potentiels recensés, une présélection a été réalisée sur la base de critères d'intérêt, tant géologique (intérêt scientifique et pédagogique des sites) que patrimonial (intérêt paysager et environnemental, liens avec d'autres formes de patrimoine). Le critère déterminant a été la valeur scientifique des sites. Les sites retenus ont ensuite été décrits au moyen d'une fiche descriptive, comprenant six parties : (i) Données générales : numéro, nom (comprenant une indication sur le type de site et sur le lieu), valeur (en quatre catégories – universelle, régionale (région méditerranéenne), nationale, locale); (ii) Localisation et accès : coordonnées (latitude, longitude, altitude; pour les grands sites : centre du site), localisation (gouvernorat et délégation), conditions d'accès, extrait de carte; (iii) Photos; (iv) Description du site, en deux parties : une brève description et une description détaillée, focalisée sur l'intérêt scientifique, avec une mention des autres valeurs du site; (v) Niveau de protection et menaces; (vi) Références bibliographiques principales.
Vingt-neuf géosites (Tableau 3; Fig. 7) ont été sélectionnés et classés en fonction de leurs valeurs
scientifiques principales (centrales) autour desquelles se situent d'autres
valeurs secondaires. Cette classification a permis de mettre l'accent sur
l'intérêt scientifique et sur le potentiel géotouristique. Deux
grands types de géosites dominent :
Les sites paléontologiques et sédimentologiques permettent une reconstitution et une «lecture» complète des paléoenvironnements et de la faune et flore associées à l'ouverture de la marge sud téthysienne, du Trias au Crétacé. Il s'agit là d'un patrimoine exceptionnel, unique à l'échelle de l'Afrique du Nord, et d'un intérêt scientifique et pédagogique majeur. Les sites géomorphologiques et paysagers, formés surtout de reliefs structuraux de cuestas, offrent une gamme exceptionnelle de contextes géomorphologiques variés (cuestas, vallées, cuvettes) auxquels les sociétés se sont adaptées en développant des pratiques hydro-agricoles (
De nombreux sites cumulent plusieurs valeurs. Tous les sites, sans exception, ont une haute valeur paysagère et une valeur géomorphologique, qu'elle soit centrale ou secondaire. En effet, les sites paléontologiques et sédimentologiques sont tous situés dans des contextes géomorphologiques spécifiques, la plupart du temps des fronts de cuesta ou des versants d'oued, et présentent de ce fait un intérêt géomorphologique secondaire. Il en est de même de la valeur sédimentologique, puisque tous les sites paléontologiques sont situés dans des contextes sédimentaires spécifiques (intérêt secondaire) et la plupart des sites géomorphologiques sont sculptés dans des dépôts sédimentaires. Nombre de sites présentent également un intérêt paléogéographique certain car ils permettent de reconstituer l'histoire paléoenvironnementale tant ancienne (Mésozoïque) que récente (Quaternaire). Par contre, peu de sites présentent une valeur écologique (actuelle) particulière. Cela est dû au contexte climatique aride, peu favorable à la diversité des milieux écologiques. Seuls quatre sites ont permis, pour des raisons climatiques ou hydrologiques spécifiques, le développement d'une faune ou flore particulière. Il s'agit des sites de Kef Enssoura, Sebkhat Erg el Makhzen, Sebkhet Oum Ez-Zessar et Oued Dekouk. Les deux derniers sont les seuls sites protégés légalement (réserve naturelle d'Oued Dekouk, sites Ramsar de Sebkhet Oum Ez-Zessar et d'Oued Dekouk). Onze sites ne présentent pas d'intérêt culturel particulier; les autres sites cumulent en général plusieurs intérêts culturels, tant matériel (architectural en particulier) qu'immatériel.
Variétés de paysages et de la géodiversité à
travers quelques sites sélectionnés du géoparc.
Limites du géoparc et localisation des 29 géosites pressentis et leur valeur scientifique.
Classification des géosites selon leurs valeurs scientifiques principales (en gras) et secondaires, leur intérêt et potentiel géotouristique (voir Sect. 4.4) et leur valeur générale (Reynard et al., 2018). Pour la localisation des sites, voir la Fig. 3.
Continued.
Continued.
Les valeurs scientifiques centrales et secondaires des géosites sélectionnés ont permis de classer les sites de manière qualitative en quatre catégories en fonction de leur valeur : (i) universelle; (ii) régionale (région méditerranéenne); (iii) nationale (à l'échelle de la Tunisie); (iv) locale (à l'échelle du Dahar et du Sud-est tunisien) (Tableau 3; Fig. 8).
Six sites ont une valeur universelle (géosites de portée internationale au sens de l'UNESCO). Deux sites sont des zones humides
(sites Ramsar), reconnues au niveau international. Dans les deux cas, il
s'agit de sites pour lesquels la haute valeur écologique est étroitement dépendante du contexte géomorphologique : sebkha et
marais maritimes dans le cas de Sebkhet Oum Ez-Zessar, oued et dépression fermée dans le cas de l'Oued Dekouk. Les quatre autres géosites de valeur universelle touchent aux principales caractéristiques géologiques du Dahar. La cuvette intramontagneuse de Matmata-Beni Issa est à la fois un site à haute valeur paléoenvironnementale pour la reconstitution de l'histoire quaternaire régionale et un exemple parfait de site géoculturel, combinant une haute valeur géo(morpho)logique et paysagère et un patrimoine culturel (habitat troglodytique) de premier ordre (Boukhchim et al., 2018). Le site paléontologique et sédimentologique de Djebel Tebaga de Médenine est l'unique affleurement de Permien supérieur marin sur le continent africain; il est inclus dans la liste indicative de sites candidats au Patrimoine mondial soumise par la Tunisie (
Les onze sites qui ont une valeur régionale (région méditerranéenne) sont essentiellement des reliefs structuraux de cuestas, associés à des habitats troglodytiques et/ou perchés (patrimoine géoculturel) et des sites paléontologiques et sédimentologiques. Ils permettent de mettre en évidence l'importance du Dahar tant pour l'étude paléoenvironnementale de la marge sud de la Téthys lors de son ouverture que pour l'étude géoculturelle de l'adaptation des sociétés méditerranéennes aux contraintes géomorphologiques et bioclimatiques du milieu. Les sites qui ont une valeur nationale sont au nombre de dix. Ils présentent des caractéristiques spécifiques, rares et représentatives en matière de géomorphologie, paléontologie et sédimentologie, ainsi que sur le plan paysager à l'échelle de la Tunisie. Seuls deux sites ont une valeur locale.
Deux approches du géotourisme ont coexisté au niveau international au cours des dernières années (Newsome and Dowling, 2018) : la première, promue notamment par le National Geographic (Stueve et al., 2002), considère le géotourisme comme une forme de tourisme qui vise à promouvoir le caractère géographique d'une région (l'environnement, le patrimoine, les paysages, la culture, les traditions, etc.); la seconde, portée par des spécialistes des sciences de la Terre, restreint le géotourisme à la promotion de la connaissance de l'histoire géologique d'une région (Hose, 2000, 2012; Newsome and Dowling, 2010 notamment). La Déclaration d'Arouca (Arouca Declaration on Geotourism, 2011) a tenté de concilier les deux approches en proposant une définition à deux niveaux : le géotourisme est «un tourisme qui soutient et améliore l'identité d'un territoire, en prenant en compte sa géologie, son environnement, sa culture, ses valeurs esthétiques, son patrimoine et le bien-être de ses résidents. Le tourisme géologique est l'une des diverses composantes du géotourisme» (voir aussi Hobléa et al., 2020). Plus récemment, des travaux ont insisté sur le fait que les géopatrimoines peuvent constituer des ressources territoriales, notamment à travers la valorisation géotouristique (Bétard et al., 2017). Dans cette recherche, à la suite de Hobléa et al. (2020 :56), nous parlons de tourisme géologique pour le tourisme de découverte des sites sédimentologiques et paléontologiques, pratiqué surtout par des scientifiques et des passionnés de sciences de la Terre, de tourisme géoculturel pour la découverte des sites culturels en interaction avec leur contexte géomorphologique, pratiqué par des visiteurs intéressés à la culture au sens large, et de géotourisme intégré, lorsque les deux formes de découverte touristique sont combinées. Nous répondons ainsi à la nécessité de tenir compte de publics diversifiés du géotourisme (Martin, 2013, 2020, par exemple).
Sur cette base, les 29 géosites ont été classés en quatre
catégories pour leur potentiel géotouristique (Tableau 3) :
9 sites ont un potentiel pour le tourisme géologique : ces géosites permettent la découverte de l'histoire des paléoenvironnements de la marge sud de la Téthys et s'adressent prioritairement à un public de spécialistes (chercheurs), d'étudiants et de touristes intéressés spécifiquement à la découverte des sites géologiques; 5 sites ont un potentiel pour le tourisme géoculturel : ces géosites permettent d'appréhender les liens entre le contexte géo(morpho)logique et le patrimoine culturel (archéologique, architectural, historique et/ou immatériel) et paysager. Ils touchent un public intéressé à la découverte des territoires, des traditions et des paysages, qui constitue le public-cible du projet «Destination Djebel Dahar»; 13 sites ont un potentiel pour le géotourisme intégré : cumulant des intérêts scientifiques (sédimentologiques/paléontologiques et/ou géomorphologiques), culturels (patrimoine archéologique, architectural, historique et/ou immatériel) et paysagers, ces sites s'adressent aux deux publics; enfin, deux sites ont un potentiel pour l'écotourisme : il s'agit des deux sites Ramsar qui permettent une découverte d'écosystèmes de milieux humides et de leurs interrelations avec le contexte géologique et géomorphologique (sebkhas et marais maritime dans le premier cas, sebkhas et dunes dans le second).
Cette classification montre le grand potentiel géotouristique du géoparc. Les géosites sélectionnés sont aptes à attirer
non seulement un public de niche, intéressé aux sciences de la Terre, mais également un public plus large, friand de découverte des
territoires, de leurs patrimoines et de leurs paysages.
La présentation du contexte géographique et géologique (Sect. 3)
et des caractéristiques des géosites retenus comme base pour la
création d'un géoparc dans le Dahar (Sect. 4) a permis de mettre en
évidence les deux piliers géopatrimoniaux du géoparc : d'une
part les sites sédimentologiques/paléontologiques qui permettent de
documenter l'ouverture de la marge sud de la Téthys du Trias au Crétacé; d'autre part les sites géomorphologiques, intégrés dans un paysage de cuestas qui a permis le développement de toute une série de formes d'adaptation des sociétés au cadre morphoclimatique et morphostructural régional. Les villages perchés, les
Il faut relever que l'adaptation aux conditions morphoclimatiques et
morphostructurales est multiple. Les
La qualité de ce patrimoine a été à la base du développement d'une offre de tourisme culturel (
Le fait que ce patrimoine culturel soit si imbriqué dans les formes du
relief (Ben Ouezdou et al., 2016) et suite aux différentes recherches
(Ben Ouezdou et al., 2016; Reynard et al., 2018) menées sous l'égide de Swisscontact, une offre géotouristique spécifique – GéoTourisme Dahar (
Toute récente, cette double proposition – le Dahar comme destination
géotouristique et comme territoire potentiel pour un géoparc UNESCO
– se heurte toutefois à une série d'enjeux et de difficultés
que nous retraçons rapidement ici. L'étude préliminaire (Reynard
et al., 2018) est loin d'être exhaustive et nécessite encore diverses études complémentaires afin de pouvoir constituer un dossier de candidature pour un géoparc UNESCO. Il s'agit d'abord de décrire les sites retenus en suivant une méthodologie éprouvée (voir Mucivuna et al., 2019) et de mener des études scientifiques complémentaires sur certains sites. Quant à l'étude géotouristique, elle est restée à l'état d'une simple analyse du potentiel géotouristique sur la base d'une typologie qualitative; il est nécessaire de compléter cette approche par un diagnostic plus précis mettant notamment en évidence les forces, faiblesses, opportunités et menaces pour chacun des sites retenus, comme cela a été fait sur les sites de Haddej (Matamata-Beni Issa) et Guermessa (Boukhchim et al., 2018). Troisièmement, une sélection des sites patrimoniaux culturels doit encore être établie; en effet, tous les sites culturels ne sont pas forcément liés aux géosites retenus. Par ailleurs, plusieurs sites doivent faire l'objet de travaux de réhabilitation par l'Institut National du Patrimoine, comme certains
sites archéologiques, tels que Chenini. Un tel inventaire doit tenir
compte des projets de classement des
En parallèle à ces études complémentaires, il est nécessaire d'établir une stratégie claire de géoconservation et de valorisation géotouristique (Reynard et al., 2018). La protection
effective du géopatrimoine est un prérequis pour tout projet de
géoparc UNESCO. Or, la Tunisie n'a aucune loi de protection des géopatrimoines et la plupart des sites retenus (à l'exception des
environs de Kef Ennsoura) ne bénéficient d'aucune protection légale. En termes de valorisation géotouristique, les travaux sont plus avancés grâce aux initiatives de l'Association de la Mémoire de la Terre et de la FTADD; elles doivent toutefois être complétées, notamment en ce qui concerne la formation de guides
géotouristiques. Par ailleurs, l'importante migration masculine prive la région de main d'œuvre, ce qui accentue les risques de dégradation du patrimoine suite à l'abandon des
Par ailleurs, différents entretiens à l'échelon régional et auprès de certains ministères ainsi que la consultation de documents publiés dans les médias nous ont amenés à conclure qu'il existe un enjeu important de communication (Reynard et al., 2018 :118). De nombreux acteurs n'ont qu'une connaissance très partielle, et souvent biaisée, de ce qu'est un géoparc, y compris parmi les acteurs institutionnels. Cela entraîne une communication désordonnée, souvent partielle et parfois contradictoire. Un concept de communication unifié devrait être établi et mis en œuvre. Il s'agit finalement d'établir un modèle clair de gouvernance du projet de géoparc, incluant les acteurs locaux (Reynard et al., 2018).
Cet article a mis en évidence la qualité des géopatrimoines du Dahar et en particulier l'intérêt des sites géoculturels combinant un patrimoine géo(morpho)logique exceptionnel et un patrimoine culturel témoignant de formes ancestrales d'adaptation des sociétés au milieu. Ce patrimoine fait actuellement l'objet d'une série d'actions territoriales en vue de le valoriser dans un contexte touristique. L'étude a également permis de définir un espace cohérent pour la création d'un géoparc UNESCO dans le Sud-est tunisien, basé sur la présence de 29 géosites, et d'identifier six sites de valeur universelle, qui pourraient constituer le cœur de ce géoparc. Nous avons soulevé un certain nombre d'enjeux qui se rattachent à une double problématique : scientifique (la conservation et la promotion du géopatrimoine doivent s'appuyer sur un travail d'inventaire, qui n'a pas encore été mené à son terme) et de gouvernance. Sans nul doute qu'une mise en commun des résultats issus des différents projets scientifiques et géotouristiques, GEO MED GIS et GéoTourisme Dahar en particulier, et la création d'une structure de gouvernance permettraient de renforcer le développement des offres géotouristiques sur le territoire et la mise sur pied effective d'un géoparc candidat au réseau global des géoparcs de l'UNESCO. Ces différents travaux pourraient aussi aider à relancer le projet de loi de protection du patrimoine géologique à l'échelle nationale.
Toutes les données sont disponibles dans le rapport de Reynard et al. (2018) et ses annexes.
La conceptualisation de la recherche a été faite par ER, HBO, TBF, AGM et YM; la récolte des données sur le terrain a été faite par HBO, TBF, MO et ER; le traitement des données a été réalisé par TBF, HBO, MO, ER et AGM; la cartographie a été réalisée par AGM; tous les co-auteurs ont participé à la discussion des résultats; ER a rédigé la première version de l'article; tous les co-auteurs ont relu et amendé cette première version et les différentes versions avant publication. ER a coordonné le travail d'édition.
Les auteurs déclarent qu'ils n'ont aucun conflit d'intérêts.
Publisher's note : Copernicus Publications remains neutral with regard to jurisdictional claims in published maps and institutional affiliations.
Cet article est tiré de l'étude pour l'élaboration d'une feuille de route pour la création d'un géoparc UNESCO dans le Sud-est tunisien menée en 2017 et 2018. Les auteurs remercient l'Office National des Mines (ONM), en particulier M. Nouri Hatira, directeur jusqu'en 2018, d'avoir initié le projet. Ils remercient les différents acteurs du territoire qui ont fourni des informations et partagé leur perception du projet de géoparc et adressent un merci particulier à M. Nouri Hatira pour la confiance témoignée et son soutien indéfectible au projet, à Amine Berriche (Swisscontact), pour son aide dans les missions de terrain et à Cecilia Chopin-Conilleau (Swisscontact) pour la coordination du projet. Nos remerciements vont finalement aux trois réviseurs (deux anonymes et Christian Giusti) pour leurs judicieuses remarques qui ont permis d'améliorer cet article et à Cristian Scapozza pour le suivi éditorial.
Cette recherche a été financée par le Secrétariat d'Etat à l'économie SECO, Confédération suisse, Suisse.
This paper was edited by Cristian Scapozza and reviewed by three anonymous referees.