Articles | Volume 77, issue 3
https://doi.org/10.5194/gh-77-323-2022
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Book review
 | 
13 Sep 2022
Book review |  | 13 Sep 2022

Book review : Le climat au prisme des sciences sociales

Léonard Schneider
Dates

Metzger, A. (éd.) : Le climat au prisme des sciences sociales, Éditions Quae, Versailles, ISBN 978-2-7592-3432-5, EUR 29,90, 2021.

A la fois riche et stimulant, cet ouvrage propose un croisement de regards sur la thématique du climat. En onze chapitres, on y découvre comment les sciences sociales se saisissent de cet objet, en retraçant les évolutions de chacune des disciplines au cours du temps, et en détaillant les enjeux les plus sensibles à l'heure actuelle. Compte tenu de la place que les questions climatiques occupent dans le débat public contemporain, cette démarche se révèle particulièrement intéressante. Elle permet de prendre du recul par rapport au flot d'informations que l'on reçoit sur le sujet, et d'appréhender les enjeux liés aux changements climatiques dans toute leur complexité. Dans cette recension, je vais tâcher de présenter les éléments principaux. Plutôt que de résumer chaque chapitre séparément, je mettrai l'accent sur les thématiques abordées, en regroupant les chapitres dont les approches se rejoignent.

Dès l'introduction, Alexis Metzger met en avant les différentes acceptions du terme “climat”, selon le domaine scientifique. On peut ainsi distinguer le climat au singulier, qui désigne un phénomène global, et qui est associé aux multiples enjeux énergétiques, politiques, sociaux et économiques liés aux changements climatiques actuels; et une vision plurielle des climats, qui met notamment l'accent sur les variations des paramètres climatiques dans l'espace et dans le temps. On retrouve aussi des différences d'approches entre la volonté d'objectiver les différentes composantes qui permettent de caractériser le climat (températures, précipitations, vents, etc.), et des recherches qui visent à comprendre comment le climat est perçu d'un point de vue humain, tant au niveau individuel que collectif. La lecture du livre amène à une première conclusion : selon les époques et les disciplines considérées, le climat prend des significations très diverses, qu'il faut prendre en compte si l'on souhaite articuler les connaissances entre elles.

Les trois premiers chapitres mettent en valeur les dimensions temporelles du climat, via l'archéologie (Christophe Petit et Laure Fontana), l'histoire (Laurent Litzenburger) et l'histoire des sciences (Frédérique Rémy). Il s'agit, notamment, de comprendre comment le climat et son évolution ont impacté les sociétés du passé. On peut ainsi s'intéresser à la façon dont une société a réagi face à des phénomènes extrêmes, tels que des inondations ou des sécheresses. On peut aussi chercher à mettre en relation l'évolution des modes de vie avec des changements climatiques plus progressifs, qui impactent notamment les ressources en nourriture. Cependant, les exemples présentés illustrent les difficultés de cette démarche; notamment parce que les changements sociétaux sont, par essence, multifactoriels.

Les recherches historiques permettent de porter une réflexion sur la nature des relations entre sociétés et climats. Au cours du temps, diverses conceptions se sont développées, tant sur la façon dont les activités humaines influençaient le climat que sur l'impact plus ou moins déterministe d'un climat sur la société qui y vit. Aujourd'hui, au lieu d'une vision déterministe, on préfère détailler ces impacts entre des contraintes plus ou moins fortes selon le climat considéré, et des opportunités qui ouvrent un éventail de choix d'adaptation pour une société face à un climat donné. Dans le contexte climatique actuel, ces contraintes et opportunités doivent être redéfinies. Mais la dimension multifactorielle reste cruciale : il faut comprendre comment les changements climatiques interagissent avec leurs contextes sociaux, politiques, économiques, technologiques etc.

Le chapitre dédié à l'architecture (Philippe Bonnin) confirme les limites d'une approche déterministe en montrant la diversité des habitats possibles pour s'adapter à un climat donné. Il présente des exemples d'architecture traditionnelle au Japon et en France; en soulignant notamment la dimension culturelle de la notion de confort. Ainsi, la tolérance aux froids hivernaux dépend du contexte local. Par ailleurs, les progrès technologiques ont ouvert le champ des possibles en matière de construction. Le chapitre se conclut en portant un regard critique sur l'inclusion des enjeux climatiques et énergétiques dans l'architecture actuelle.

On retrouve un regard critique sur les débats climatiques contemporains dans le chapitre géographique (Martine Tabeaud). Après avoir parcouru l'évolution de la discipline, le chapitre aborde la façon dont la climatologie se développe actuellement via la modélisation informatique et les scénarios climatiques pour le futur. Plusieurs points sont relevés; notamment l'importance de spatialiser le climat et ses changements, car les moyennes globales cachent des disparités importantes; et la prudence qu'il convient d'observer sur les projections futures, qui comportent systématiquement leur lot d'incertitudes, et qui peuvent mener à des discours apocalyptiques percutants mais souvent simplistes.

Les actions visant à limiter les changements climatiques sont au cœur des chapitres philosophique (Ivo Wallimann-Helmer), sociologique (Philippe Boudes) et économique (Patrick Criqui et Sandrine Mathy). Partant du principe qu'il faut réduire les émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial pour stabiliser le climat dans les prochaines décennies, de multiples débats s'ouvrent sur les façons d'agir les plus efficaces, et les plus justes. Particulièrement sensible, la notion de justice climatique se décline tant au niveau spatial que temporel, en fonction de deux caractéristiques fondamentales. Tout d'abord, on parle d'un phénomène global, avec les émissions du monde entier qui se cumulent et produisent leurs effets indépendamment des émissions spécifiques d'un territoire donné. Bien souvent, les populations les plus fragiles comptent parmi les moins responsables des émissions, de par leur mode de vie. Ensuite, la grande inertie du processus complique la donne en termes de temporalité des mesures : on agit aujourd'hui pour des effets qui ne seront sensibles que plus tard. Ainsi, la justice climatique se conçoit également en termes générationnels.

Parmi les questions soulevées, l'une des plus importantes peut être formulée de la manière suivante : peut-on réduire les émissions de gaz à effet de serre de manière efficace dans le cadre de l'économie de marché et des libertés individuelles telles que nous les concevons dans le monde occidental ? Le chapitre économique détaille divers instruments : taxe carbone, certificats d'émissions, modèles d'évaluations intégrés. Il mentionne aussi les courants qui préfèrent raisonner en termes de ressources physiques plutôt qu'en termes monétaires. Les approches développées dans le chapitre sociologique remettent également en question la vision économique dominante, en soulignant ses contradictions, et en montrant les risques d'une confiance excessive dans les solutions technologiques. Enfin, la partie philosophique tente de concilier les libertés individuelles avec la réduction des émissions de gaz à effet de serre, d'un point de vue éthique.

Les parties consacrées à la littérature (Anouchka Vasak) et à l'esthétique (Nathalie Blanc) ouvrent des perspectives différentes, plus axées sur l'imaginaire et la perception sensorielle du climat. Selon les époques, on a utilisé le climat de différentes façons, notamment comme outil pour dépeindre des ambiances et des émotions. On s'éloigne du débat contemporain, encore que : la façon dont on raconte le climat, ses impacts et ses menaces, joue assurément un rôle crucial. Plutôt que de les exprimer sous forme de chiffres et de graphiques, on peut aussi en tirer des téléreportages, des récits poétiques, de la science-fiction, etc. Ces récits peuvent donner le vertige, provoquer de la colère, mais aussi mobiliser et pousser à l'action. A l'heure où l'éco-anxiété se développe, en particulier dans les jeunes générations, les enjeux autour de ces récits deviennent centraux.

Le chapitre sur l'éducation (Clément Barniaudy) prolonge cette réflexion en montrant comment on est passé d'un enseignement géographique descriptif à une vision plus critique et interdisciplinaire, qui cherche à intégrer les enjeux sociétaux liés au climat. On s'éloigne ainsi d'une vision positiviste du savoir, en cherchant davantage le débat, notamment sur les solutions à apporter à une situation jugée problématique. Une question transparaît en filigrane du chapitre : quel est le rôle de l'école sur les enjeux de durabilité ? Transmettre les connaissances, susciter le débat, faire changer les comportements ? La question dépasse le cadre du climat, et implique une discussion fondamentale sur les missions de l'école dans la société.

Globalement, la structure du livre permet de comparer des visions différentes du climat, d'un point de vue disciplinaire. On pourrait d'ailleurs étendre la démarche aux sciences naturelles, puisqu'elles sont largement impliquées dans cette thématique. Notons qu'au gré des chapitres, le focus est souvent centré sur le monde scientifique francophone, ou d'Europe occidentale. Ce cadrage pourrait être défini de façon plus explicite. J'ajouterais aussi que les analyses critiques pourraient être complétées par des visions plus constructives. Par exemple, certains chapitres soulignent le simplisme avec lequel les enjeux climatiques sont parfois abordés de nos jours. On pourrait attendre un prolongement de la réflexion sur les conclusions à en tirer : que faut-il faire pour mieux traiter ces enjeux, y compris dans une perspective pratique ? Dans un autre registre, il serait intéressant de présenter des modèles économiques alternatifs, permettant de mieux prendre en compte la préservation du climat et de l'environnement en général.

Ce livre s'inscrit dans une tendance qui vise à promouvoir le rôle des sciences sociales dans les enjeux environnementaux contemporains. Il rejoint ainsi d'autres ouvrages (voir par exemple Dunlap et Brulle, 2015; Crate et Nuttall, 2016 et Beau et Larrère, 2018), en mettant l'accent sur les caractéristiques propres aux onze disciplines présentées. Cette spécificité lui confère un caractère à la fois riche et hétéroclite, tant la vision du climat varie d'un chapitre à l'autre. On peut espérer qu'en développant la conscience de la généalogie et du fonctionnement de chaque discipline, on puisse améliorer le dialogue entre elles à l'avenir. Souhaitons-le !

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Références

Beau, R. et Larrère, C. (éds.) : Penser l’anthropocène, Presses de Sciences Po, Paris, ISBN 978-2-7246-2210-2, 2018.  

Crate, S. A. and Nuttall, M. (Eds.)  : Anthropology and climate change  : from encounters to actions, Routledge, London & New York, ISBN 978-1-59874-333-3, 2016. 

Dunlap, R. E. and Brulle, R. J. (Eds.) : Climate change and society : Sociological perspectives, Oxford University Press, ISBN 978-0-19-935610-2, 2015.