Book review : Capital, critique et cité : le capitalisme urbain en trente plongées
Adam, M. et Comby, É. (éds.) : Le capital dans la cité. Une encyclopédie critique de la ville, Éditions Amsterdam, Paris, France, ISBN 9782354802172, EUR 25,00, 2020.
Coordonné par Matthieu Adam et Émeline Comby, Le capital dans la cité se positionne
résolument dans la continuité de la géographie critique, voire
radicale. Sous-titré “ Une encyclopédie critique de la ville ”,
l'ouvrage se place en effet dans la continuité des travaux de la
géographie critique anglophone, dont celle de David Harvey, et de son
influence dans la recherche francophone (Gintrac et Giroud, 2014). Il
reprend par ailleurs de façon centrale l'apport théorique de la
spatialisation développée par Shield (1991). Ce cadre conceptuel
permet aux auteur.e.s de penser des modes de spatialisation du capitalisme
urbain, soit des variations actualisées d'un modèle général
de production de l'espace, qualifiant l'espace comme une construction
sociale à la fois matérielle, relationnelle et symbolique.
L'ouvrage regroupe trente entrées classées alphabétiquement, dont chacune décrit une problématique thématisée. Si la lecture autorise à parcourir ces différentes notices au gré de ses intérêts, chaque chapitre parvient à généraliser le propos à partir d'une étude empirique, étayée théoriquement. Tenant tantôt d'un travail quasi sociologique, tantôt d'approches géographiques, l'ensemble des textes témoigne de la multidisciplinarité des études urbaines. De Agriculture urbaine (par Flaminia Paddeu) à Zones logistiques (par Nicolas Rimbeault), de la Smart-city (par Hind Khedira) à Logement social (par Chloé Reiser), chaque entrée compte une dizaine de pages livrées par des chercheuses et chercheurs principalement francophones, se déclinant de façon sectorialisées et problématisées afin de donner à voir le travail structurel du capitalisme urbain et ses effets de réification (Lukács, 1960; Chanson et al., 2014) sur la ville et ses habitants et habitantes. À titre d'exemple, dans l'entrée Adaptation urbaine au changement climatique (par Anne-Lise Boyer), l'auteure, après avoir abordé la notion d'anthropocène, se réfère plus directement à celle de capitalocène, faisant expressément référence aux modes de production (et de vie) capitalistes et productivistes dans la logique explicative du changement climatique. Est ainsi mise en avant une critique, bien connue mais néanmoins toujours salutaire, du solutionnisme technologique au cœur de la logique de la croissance verte et du développement durable. Un tel exercice de mise en lumière du rôle structurel du capitalisme mondialisé et de ses acteurs est particulièrement visible dans la contribution ayant trait à la Financiarisation du capitalisme urbain (par Antoine Guironnet).
La présence de notices synthétiques et ancrées dans le terrain permet de rassembler des notions et cas d'études relativement hétérogènes dans un même mouvement de description, au détriment, peut-être, du développement d'axes spécifiques transversaux. Nous retiendrons néanmoins quatre grands sous-thèmes qui, même s'ils ne sont pas explicités tels quels entre les chapitres et ne sont pas mutuellement exclusifs, contribuent à tracer des axes de lecture. Une attention est tout d'abord portée aux dynamiques spatiales de transformations des territoires urbains et périurbains, au premier plan desquels les relégations et ségrégations spatiales. Le rôle prépondérant d'une dimension spatiale, à la fois comme cause et symptôme des inégalités sociales, y est mis en exergue. Centrales dans une grande partie des études urbaines contemporaines d'inspiration géographique, les dynamiques soulignées relèvent de plusieurs types (relégation, séparation, concentration, limitation d'accès). Elles sont adossées ici aux questions de propriété souvent délaissées dans les analyses prenant l'espace comme focale.
Une deuxième catégorie d'entrées peut être distinguée dans la façon dont ces dernières se concentrent sur les transformations des formes urbaines et la gouvernance de la croissance des villes (par exemple : Reconquête des fronts d'eau, par Émeline Comby). Il y figure notamment une préoccupation, dans un même temps, pour des lectures économiques et politiques de la production urbaine rappelant la fonction jouée par la rente foncière.
La place de l'étude des processus de marchandisation s'avère aussi être centrale, qu'il s'agisse du marketing urbain, de l'usage de l'art et des artefacts d'enchantement dans la ville (Imagerie, par Roman Stadnicki ; Espace public sonore, par Juliette Volcler), ou des modèles de la Smart city (par Hind Khedira). À ce titre, l'injonction à la production ou à la simple promotion d'une ville verte, durable et inclusive (Ville durable, par François Valegas) s'élève au rang de paradigme dominant.
Abondamment discuté, le rôle des dispositifs de réglementation, de normalisation, de contrôle, de mise en garantie (Breviglieri, 2013) vient traverser une grande partie des contributions. L'entrée Indésirables (par Melora Koepke, Camille Noûs et Anonyme) réalise, à titre d'illustration, la jonction entre des politiques publiques de métropolisation (en l'occurrence, celle du Grand Paris) et les processus d'invisibilisation, d'exclusion et de hiérarchisation des populations dites indésirables. Les auteur.e.s font dialoguer, dans un même terrain, ce qui relève d'effets paradigmatiques (la promotion territoriale, la spectacularisation, la valorisation marchande) et de dispositifs de contrôle des comportements, des normes et des corps, dans un exercice foucaldien.
Les transformations sociales et spatiales décrites mettent aussi en lumière ce qui se joue en termes de contradictions du capitalisme et d'absorption de la critique (Boltanski et Chiapello, 1999). À cet égard, Matthieu Adam et Émeline Comby précisent que leur intention était de réactualiser le prisme du droit à la ville (Lefebvre, 1968) dans le champ des études urbaines. A cet égard, analyser l'urbain en tant qu'espace de lutte s'inscrit bien dans ce qu'énonçait Harvey (2015), considérant la place de nouvelles formes de prolétariat urbain et d'une avant-garde intellectuelle. Contrairement à une partie des critiques de la ville moderne (Faburel, 2018), cet ouvrage repose sur un refus du mythe babylonien de la ville et de son futur, comme le décrivent les coordinateurs : des transformations urbaines et de l'application du droit à la ville – dont il faudra encore spécifier, voire étendre, les modalités –, pourrait alors venir le salut des villes.
À travers les différentes entrées, les auteur.e.s exposent donc, avec une grande diversité d'études de cas, ce que le capitalisme urbain contemporain produit comme ville, à la fois dans des rapports spatiaux, des matérialités, des modes de gouvernance et des modes de vies. Sa vertu réside dans le recours nécessaire à des analyses de dynamiques financières, marchandes, sociales à une échelle urbaine macro-sociologique (analyses statistiques, de comportements collectifs, politiques publiques, dynamiques économiques, stratégies d'acteurs, etc.). De façon analogue, grâce à la description de processus structurels, les différentes entrées réussissent une généralisation du propos laissant entrevoir des dynamiques similaires, ou du moins comparables, au fil de la lecture, bien que localisées et historicisées. La réponse à l'intention première de l'ouvrage est délivrée : dessiner, dans un exercice encyclopédique, les contours des modes de spatialisation du capitalisme urbain.
Une conclusion finale vient cependant à manquer, laquelle aurait permis de caractériser les dynamiques principales et lignes de force des formes du capitalisme urbain contemporain de façon synthétique, mais aussi de dire quelques mots de ses hétérogénéités. Cette dernière proposition aurait permis de souligner les perspectives collectives dans les renversements ordinaires, les résistances ou les dysfonctions de ces logiques de domination. Des brèches sont ainsi par endroits lisibles, par exemple lorsqu'il est question des mouvements pour l'autonomie alimentaire, de la rémanence d'imaginaires urbains alternatifs, ou de mobilisations contre les projets de renouvellement urbain. Malgré tout, et tenant compte du fait que les modes de spatialisation exemplifiés relèvent d'actualisations de rapports de force dans des jeux d'acteurs complexes, il en ressort une impression d'impasse sur le plan politique, les perspectives d'émancipation étant limitées ou seulement évoquées en fin de chapitres. Au terme de la lecture, il demeure une envie de mieux comprendre la façon dont la spatialisation du capitalisme urbain s'actualise – au-delà de ses effets réifiants ou excluants – dans certaines situations empiriques, dont les formes de violences tout à fait matérielles sont pourtant bien décrites : marges, relégation, invisibilisation, contrôle, etc. Quels sont les assemblages qui ici, permettent des résistances locales au mouvement de désindustrialisation, là, des adaptations singulières de la smart-city, finalement loin des imageries promues dans les congrès internationaux ? Il s'agirait alors de donner à voir la façon dont les asymétries sociales se (re)composent à la faveur, notamment, du déploiement de la critique par les différents acteurs (acteurs de la production urbaine, professionnels de l'urbanisme, associations d'habitants et d'habitantes). Imaginée comme un complément à cette Encyclopédie critique de la ville riche et engagée, une telle démarche viendrait ouvrir le programme d'une encyclopédie de la critique de la ville.
Au final, les coordinateurs.trices ont fait le choix d'un propos relativement accessible au grand public et politiquement assumé en période de mobilisation sociale en France, comme le rappellent les remerciements en fin d'ouvrage. Cette disposition est d'autant plus salutaire que les attaques contre les sciences sociales se multiplient dans le contexte français, et au-delà, renvoyant légitimement les chercheurs et chercheuses à une position critique.