Articles | Volume 78, issue 1
https://doi.org/10.5194/gh-78-157-2023
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17 Mar 2023
Standard article |  | 17 Mar 2023

Friedrich Ratzel, géographie et sciences sociales en France (1890–1918) – Centralité et distanciations

Marie-Claire Robic
Résumé

The reception of Ratzel at the turn of the 20th century coincides with the rise of an academic geography supported by the republican regime and the internationally leading reputation of German geography. But, since the defeat of 1870, French science was driven by the “German challenge”, and the promotion of the social sciences fuelled competition between specialists. Ratzel's reception is characterised by its size, the notoriety of the reviewers and the variety of disciplines concerned. Analysis of the uses and especially of the modes of translation and disciplinary labelling reveals both the ambivalences of the criticism against Ratzel and the contrasting strategies mobilized, according to whether it is a question of founding a modern geography, writing a national geography, or imposing sociology as the master science. Positions then radicalise, accentuating criticism of a science in tune with the Reich's politics and culminating in wartime with the resemantization of the notion of Raum.

1 Introduction

Nous nous proposons d'approfondir des recherches antérieures sur la «référence Ratzel» dans la France du tournant du XXe siècle (Robic, 2014) en centrant l'attention non sur les usages de cette référence, mais sur les apports d'une approche fondée sur l'analyse des modes de traduction et des circulations caractérisant la réception des travaux de Ratzel. Il s'agit ici d'interpréter les modalités d'ensemble de cette réception et les formes textuelles qui la constituent : la terminologie, les modulations langagières et les modes d'échanges entre auteurs engagés dans la lecture de l'œuvre ratzélienne. La recherche porte sur un corpus comprenant les principaux ouvrages et articles accordant une certaine importance à Ratzel ainsi que l'ensemble des notices bibliographiques qui lui sont consacrées dans les revues françaises de l'époque. Au-delà des seules publications géographiques, c'est un complexe de sciences sociales qui doit être considéré, en une période marquée par l'émergence d'une «nébuleuse» de sciences sociales transversale aux diverses facultés (Lettres, Droit, Sciences) et débordant le monde universitaire (Topalov, 1999). Aussi, la situation de concurrences au sein de ce champ mouvant rend-elle particulièrement nécessaire la prise en compte des interactions entre auteurs et entre groupes disciplinaires, interdisant donc toute lecture littérale ou au premier degré des textes. Cependant, pour penser les interactions entre un auteur allemand et des auteurs français, voire Européens, il faut aussi considérer l'effet durable de l'humiliation française de 1870–1871. Le thème du «défi allemand» ou de «la crise allemande de la pensée française» formulé par l'historien Digeon (1959) reste pertinent pour observer l'ambivalence des intellectuels français face à la montée en puissance de l'Allemagne – ce mélange de fascination et d'inquiétude, d'emprunt et de critique, de reproduction et de transformation qui a caractérisé après la défaite de Sedan leurs rapports à leurs homologues d'Outre-Rhin.

À partir de ce corpus, de la prise en compte de la situation historique et de ces perspectives d'analyse, nous dressons d'abord une étude d'ensemble des modalités de la réception de Ratzel en France, des décennies 1880–1890 à la Première Guerre mondiale. Puis nous examinons ce qui s'est joué dans ces échanges, grâce à des recherches centrées sur la traduction, le sens et les mots de la critique. Enfin nous focalisons le regard sur des mises à distance radicales affectant les écrits de Ratzel en matière de géographie politique avant et durant la Grande Guerre, celle-ci agissant comme le révélateur des dimensions de sa «théorie de l'espace».

2 La référence Ratzel, ampleur et critique

2.1 Une référence-clé pour plusieurs disciplines

Une analyse des nombreuses citations de Ratzel dans les revues savantes et dans des ouvrages accordant une place notable à son œuvre permet de souligner la forte notoriété atteinte par Friedrich Ratzel en France de son vivant et durant les années d'avant-guerre et de guerre mondiale, ainsi que l'ampleur et la variété de son audience (cf. Références, ci-dessous et le tableau 1 de Robic, 2014). Parmi la production abondante de Ratzel, les recensions vont de ses livres sur les États-Unis à des essais posthumes, en passant par les diverses éditions de Völkerkunde, d'Anthropogeographie, de Politische Geographie et par ses nombreux écrits centrés sur l'État et l'espace politique. Outre les interventions de Paul Vidal de la Blache et d'Émile Durkheim dans leur propre revue, une quinzaine d'auteurs de disciplines et de générations successives y ont contribué. Des notices et des comptes rendus figurent notamment dans des revues relevant de la géographie, de la sociologie, de l'histoire, des sciences morales et politiques (Journal des Savants : Auerbach, 1908) et de revues transdisciplinaires avant la lettre telle la Revue de synthèse historique : Roques, 1904. Si la référence Ratzel de cette époque est pour l'essentiel constituée par une veille documentaire savante, elle concerne aussi par exemple le grand public cultivé de la Revue des Deux Mondes. Aux côtés de plusieurs ouvrages accordant une large place à la figure de Ratzel (Hauser, 1903; Brunhes, 1910; Maunier, 1910; Vallaux, 1911), cette activité critique s'exprime dans des comptes rendus, dans des articles et dans des textes-seuils : introductions, préfaces, avertissements, notamment dans l'Année sociologique.

Construire ce genre d'érudition critique constituait alors une obligation de méthode pour les sciences émergentes, et elle a été assumée comme telle par des chefs de file. Ainsi en 1891, l'Avis au lecteur des Annales de géographie soulignait la portée «essentielle» des «comptes rendus critiques» (Anon., 1891 : III) et une «Bibliographie annuelle» dirigée par Louis Raveneau tint cet office. L'Année sociologique, créée sept ans plus tard, a été conçue sur le principe de la recension annuelle d'un secteur de savoir, Durkheim affichant d'emblée un projet collectif de captation des matériaux provenant «des recherches qui se font dans les sciences spéciales, histoire du droit, des mœurs, des religions, statistique morale, sciences économiques etc. » (Anon., 1898 :I). Poursuivant cette logique jusqu'au bout, il a été conduit à concevoir la sociologie comme matrice de toutes les sciences sociales (Karady, 1979; Blanckaert, 2006). Cette pratique bibliographique s'est prêtée à des lectures réciproques entre auteurs participant ainsi à une co-construction d'un champ de sciences sociales.

La productivité exceptionnelle de Ratzel et la variété de ses thématiques comme de ses lieux de diffusion le favorisaient par rapport à la plupart de ses collègues d'Outre-Rhin, ceci d'autant plus qu'ils s'adonnaient souvent à la seule géographie physique. Son renom en France pouvait même dériver de son aura aux États-Unis, où l'American Journal of Sociology le publiait dès sa troisième année (Ratzel, 1897–1898)1. Mais, en France, Ratzel valait aussi et surtout pour sa qualité de représentant incontournable de la science allemande, comme le suggèrent des cas de disqualification d'un auteur qui l'avait ignoré : ainsi du sociologue le playsien Edmond Demolins, brocardé par Raveneau (1902) pour ce motif.

Exceptionnelle est aussi la rémanence de cette réception, puisque les discussions sur Ratzel se sont prolongées directement ou par émule ou critique interposé bien au-delà de son décès, en 1904. Ce fut le cas dans l'Année sociologique en 1910 et en 1913 et dans les Annales de géographie où sont intervenus le jeune Hückel (1906) et son aîné Gallois (1918) – sans parler des publications d'immédiat après-guerre, notamment La Terre et l'évolution de l'humanité, où l'historien Lucien Febvre (1922) a construit le dualisme opposant le «déterministe» Ratzel au «possibiliste» Vidal de la Blache2 (cf. Ginsburger, 2023).

Soulignons encore l'intérêt que les deux chefs d'école ont porté à Ratzel, Vidal lui consacrant un tiers des notices qu'il a rédigées sur la géographie de langue allemande et Durkheim lui accordant plusieurs analyses substantielles; Vidal lui ouvrant sa revue pour une monographie sur la Corse (Ratzel, 1899b) et Durkheim publiant un mémoire (Ratzel, 1900) qui constitue l'un des rares textes signés par un étranger à sa propre équipe3 : ce sont les seules traductions de Ratzel en français à l'époque. Mais cette ouverture des deux revues était ambiguë car Ratzel y était aussi sérieusement discuté. Ainsi, symptomatiquement, la co-existence en 1900 du mémoire de Ratzel et d'une vive critique d'Anthropogeographie signée par Durkheim manifeste un conflit d'interprétation. Un tel conflit se retrouve chez les géographes de façon beaucoup plus feutrée : ainsi une étude de «géographie humaine» sur la Corse due à un obscur auteur français (Vanutberghe, 1904) suit de près la parution de la monographie «anthropogéographique» de Ratzel; en outre, le statut de l'article que Vidal (1898) intitule «La géographie politique : à propos des écrits de M. Frédéric Ratzel» apparaît indéfinissable. En effet, Vidal y livre moins une analyse de la Politische Geographie qu'une position sur les conditions de possibilité et les formes d'une géographie de l'homme à promouvoir. Ces brouillages pourraient bien exprimer l'ambivalence de ces deux «patrons» de l'Université française face à la science allemande.

2.2 Admiration et critique

L'analyse des commentaires portant sur Ratzel pendant cette période permet de spécifier les modalités de sa réception. La référence Ratzel combine d'abord chez les géographes une appréciation globale plutôt positive, son œuvre étant jugée «suggestive» (Auerbach, 1889 :139) et «opportune» (Raveneau, 1892 :347), quoiqu'entachée de problèmes de forme et de méthode («formules d'une inquiétante précision», Auerbach, 1889 :139). Usant de la prétérition, Vidal de la Blache attire l'attention sur une interprétation «plus philosophique qu'historique» (Vidal de la Blache, 1897 :40) et dénonce une «forme dogmatique peu en rapport avec la relativité des phénomènes» (Vidal de la Blache, 1898 :99). Les critiques visent donc une organisation textuelle et argumentaire peu probante et stigmatisent la prédilection de Ratzel pour une langue savante cédant trop à des effets de scientificité cautionnés par la référence grecque : on sent ici le stéréotype relatif à la science germanique. Mais à partir du début des années 1900, tout en reprenant ces formules, les géographes lancent des alertes en dénonçant le manque d'objectivité de Ratzel («manuel d'impérialisme» en phase avec l'actualité, Sion, 1904 :171; «journalisme» ou «science» ?, Vallaux, 1911, Préface).

Les modalités de la critique durkheimienne sont d'emblée plus radicales car, tout en saluant l'opportunité des travaux de géographie politique et d'anthropogéographie de Ratzel, Durkheim souligne l'indétermination de son projet : s'agit-il pour le géographe de décrire des formes sociales ou bien d'une recherche causale ? «Rien pourtant de plus distinct», estime Durkheim (1899a :531). Ce dernier dénonce aussi l'absence de démonstration : « […] parmi les traits constitutifs des types sociaux, il n'en est aucun, à notre connaissance, dont [les influences telluriques] puissent rendre compte; nous ne trouvons, en tout cas, dans le livre de M. Ratzel, aucune démonstration de ce genre.» (Durkheim, 1900 :557). Sur le fond, Durkheim refuse l'approche individualiste de Ratzel qui présuppose qu'«il n'y aurait entre [les membres d'une société] d'autre lien permanent que celui qui les attache au sol commun sur lequel ils vivent» (Durkheim, 1899a :522). Contrant son programme de géographe, il récuse tout intérêt à la recherche de l'incidence de causes non sociales sur les formes matérielles des sociétés (ce qu'il dénomme leur «substrat») et labellise «morphologie sociale» la science dédiée à cet objet (Durkheim, 1899b :520 et 521). Aussi, selon lui, la géographie pourrait être l'une des «disciplines» concourant à nourrir la sociologie par son approche de ce qu'il appelle le «territoire» ou le «facteur territorial». Marcel Mauss (1906) renchérit sur ce point de vue dans une étude de cas de morphologie sociale où il expose en quoi sa méthode se distingue de celle de «l'anthropogéographie».

On doit cependant signaler des convergences entre disciplines, observables en 1913 lorsque la rubrique Morphologie sociale de l'Année sociologique associe des signatures de géographes et de sociologues pour traiter les écrits de Jean Brunhes (Durkheim, 1913) ainsi que ceux de Camille Vallaux et d'Ellen Semple (Albert Demangeon, 1913a et 1913b), ces géographes étant jugés trop proches de Ratzel. Ainsi Demangeon fustige Ratzel lui-même pour son abstraction et pour ses généralisations abusives et accable E. Semple pour «[c]ette théorie de l'espace tout imprégnée d'esprit allemand et fort au goût de l'esprit américain» qu'elle propage (Demangeon, 1913b :811). Ces critiques révèlent donc de profondes transformations au cours des décennies envisagées ici; sur le plan interdisciplinaire, comme on l'a déjà remarqué (Rhein, 1982; Mucchielli et Robic, 1995), elles manifestent un certain apaisement entre écoles universitaires dans leur lutte pour l'existence parmi les sciences légitimes.

3 Jeux de langages. Traduction, mimétisme et différenciation

Au-delà de l'ambivalence, cet abord des publications de Ratzel – lues dans la langue d'origine – révèle aussi des jeux de langage, surtout de la part des géographes. Ces jeux de langage nous invitent à examiner de plus près des textes fonctionnant souvent en réplique ou en écho l'un de l'autre, par l'intercitation entre auteurs4 ou par des effets de miroir.

3.1 Introduire Ratzel dans la géographie en France

En le présentant dans le volume inaugural des Annales de géographie en avril 1892, Raveneau semble se faire l'intercesseur entre Ratzel et le lectorat de cette revue en conduisant un travail didactique abondant qui passe par un effort de traduction, explicite ou non. Ainsi, il rappelle en note des titres de l’Anthropogeographie, qu’il cite en français dans le corps du texte, il insère entre parenthèses ou entre crochets la forme allemande des expressions qu’il traduit et fournit parfois un commentaire implicite d’un court passage. Aussi, en s'appuyant sur l'une des premières pages de son article (Raveneau, 1892 :333), peut-on suivre diverses modalités de son approche linguistique. Il traduit par «Extension et répartition de l'homme sur la terre» le sous-titre : Die geographische Verbreitung der Menschen; il résume les notions essentielles de Ratzel par «la place qu[e l'homme] occupe sur le globe (Stelle), l'espace où il se meut (Raum), le cadre qui le limite (Rahmen)»; il rend l'esprit de l'œuvre par l'expression «une vue d'ensemble (hologaïsche Erdansicht)», qu'il renvoie à sa source en usant de termes bien français : Ritter et son principe essentiel, «considérer la terre comme un tout»; il introduit un terme (et une notion) dû à Ratzel : ««l'œkoumène», la zone où l'on habite», ajoutant que «[à] cette notion de terre habitée et habitable, que les Grecs mettaient au premier rang dans leurs systèmes géographiques, M. Ratzel redonnera, par une analyse plus pénétrante, une valeur nouvelle».

Cette mise à la disposition du public français des publications de Ratzel ne manque pas de variations. Parfois Raveneau francise un titre et le nom de la discipline correspondante : ainsi Anthropogeographie devient «anthropogéographie», mais il traduit Völkerkunde par «ethnographie», et il admet aussi que «l'anthropogéographie […] est proprement la géographie humaine» (Raveneau, 1892 :333); Œkoumene (œkoumène) et Biogeographie sont francisés. Parfois il francise une forme originale de Völkerkunde en adoptant un substantif («Les peuples «nature» (Naturvölker)»), alors qu'il use de l'adjectif pour traduire la notion opposée («Les peuples «civilisés» (Kulturvölker)») (Raveneau, 1892 :331). Mais dans les deux cas, il module sa transcription en usant de guillemets et contourne en fait diversement le problème de la traduction en usant aussi de périphrases («certains peuples continentaux qui vivent sous le joug de la nature (les Naturvölker)»; «zones […] où éclot la civilisation (Kulturzonen)», Raveneau, 1892 :335).

Moins didactique en général, souvent aussi moins respectueuse de l'auteur et portée par une visée instrumentale plus accusée que chez Raveneau, la langue utilisée par les commentateurs de Ratzel exprime aussi des processus de mimétisme et de différenciation qui durent toute la période. Sous le terme de mimétisme nous comprenons des cas de quasi-transfert de vocabulaire depuis le texte allemand, qui semblent moins relever de la francisation que de l'importation brute depuis la source originale. Ainsi de l'expression «l'élément humain dans la géographie», titre de l'article de Raveneau (1892). Le processus de différenciation suppose le choix de se démarquer de la langue d'origine par un processus d'invention ou de sélection dans un champ lexical ouvert. Ainsi des avatars du terme d'anthropogéographie : d'abord adopté par francisation5, il a donné lieu à une longue élaboration du vocabulaire disciplinaire que l'on peut retrouver dans d'autres situations nationales, tel le cas italien où ont été exprimés les enjeux internationaux de l'étiquetage savant (Robic, 2020b :116).

3.2 Mimétisme : «L'élément humain dans la géographie», versus le «souci de l'homme» ?

Un cas représentatif du calque linguistique réside dans ce membre de phrase qui intitule le premier article introduisant Ratzel dans les Annales de géographie : «l'élément humain dans la géographie». Si les lecteur.trice.s actuel.le.s coutumiers.ères de Raveneau et de cette revue s’y sont habitués, cette expression ne manque pas d'intriguer lorsqu'on remarque que, dans l'analyse didactique développée à cette occasion, aucune explicitation ou remarque ne l'accompagne, alors même qu'elle semble étrange à plusieurs égards dans la langue habituelle des géographes associés à cette revue.

Or il apparaît que l'expression francise des termes figurant en première page de la préface à Anthropogeographie (Ratzel, 1891 :V) et qu'elle traduit un sous-titre, «Das menschliche Element in der Geographie», de l'introduction de Ratzel à Anthropo-geographie (Ratzel, 1882 :V). Cet élément de langage serait-il simplement importé depuis le texte ratzélien ? Ce qui intrigue au vu du travail de la langue effectué par Raveneau est qu'il ne l'ait pas situé par rapport à l'original. En outre, au vu des usages contemporains des géographes associés aux Annales de géographie, son emploi nous semble singulier tant l'expression d'«élément humain» paraît réduire et déshumaniser l'image de «l'homme» ou de «l'humanité» qui anime les divers réformateurs de la géographie en France depuis les années 1870. Ils évoquent en effet plutôt la «place de l'homme dans la géographie», à l'instar des intervenants du congrès de géographie de Paris de 1889 et des jeunes maîtres de conférence des facultés des lettres qui plaident pour une discipline exigeante mais science «morale» (Auerbach, 1888 :58), pour une «géographie scientifique, mais aussi historique et humaine» (Dubois, 1888 :477) ou encore, tel Camena d'Almeida (1891 :57), pour des recherches où «l'étude du sol rappelle […] au souci de l'homme qui l'habite». Leur lexique est indexé sur l'action transformatrice de l'humanité ou sur l'activité de l'homme et des nations, en même temps que sur la question de la terre comme «demeure» selon une formule remontant au début du XIXe siècle. Ces jeunes universitaires débutants se demandent quels principes, quels modèles adopter pour construire la géographie moderne à laquelle ils aspirent. Le recours à la science allemande reste longtemps décevant pour eux car leurs enquêtes dans l'Allemagne des décennies 1870–1890 montrent la faveur que les géographes y accordent à la géographie physique. Ces géographes formés d'abord à l'histoire critiquent donc une géographie trop «naturaliste» (Auerbach, 1888 :56), trop imperméable à «l'élément historique» (Dubois, 1888 :461–462). Nourris au dualisme Sciences et Lettres, ils rencontrent là des controverses autrement formulées et organisées qu'en France (Espagne, 2009; Feuerhahn, 2021), et où le providentialisme de Ritter est condamné. Déjà connaisseurs de l'œuvre «rittérienne» (Auerbach, 1888 :57; Dubois, 1888 :462), ils plaident pour un retour à un Ritter «laïcisé» (Auerbach, 1888 :57). Ils rencontrent alors aussi Ratzel, qui a réhabilité Ritter et qu'ils citent pour son Anthropo-geographie.

Par cette remontée dans ces écrits jalonnant la formation de la géographie universitaire française, il nous apparaît que cette expression intrigante d'«élément humain» pourrait renvoyer à une source première qui serait non pas Ratzel mais Ritter. On retrouve en effet cette filiation dans un article de Vidal de la Blache (1896b) consacré à la «géographie générale» qui est séminal pour cette école émergente. Il y rappelle à plusieurs reprises le cours de Ritter (1852) qui inspire tout son exposé, Über das historische Element in der geographischen Wissenschaft6 :

La pensée d'exclure l'élément humain de la géographie ne serait pas entrée dans l'esprit de cette génération des Humboldt et des Cuvier, qui fut animée d'une si haute conception d'idéal scientifique. […] [Sous les mots «Natur und Geschichte» de Ritter] [c]'est comme partie intégrante, et non comme annexe, que l'œuvre historique de l'humanité trouve place dans sa conception de la vie terrestre, comme le plus actif et le plus puissant des éléments de transformation et de vie qui s'y manifestent. (Vidal de la Blache, 1896b :137)

La référence ratzélienne des vidaliens se révèle poursuivre, en la modernisant, une référence-mère à Ritter – ce qui s'exprime dans l'hommage nécrologique que Vidal consacre à Ratzel :

Rétablir dans la géographie l'élément humain, dont les titres semblaient oubliés, et reconstituer l'unité de la science géographique sur la base de la nature et de la vie, tel est sommairement le plan de son œuvre. Il [Ratzel] renouait ainsi la tradition de K. Ritter; mais en la renouvelant aux sources nouvelles du naturalisme contemporain. L'ampleur de ses vues, la tournure philosophique de son esprit le rendaient propre à ce rôle d'initiateur. (Vidal de la Blache, 1904 :467)

3.3 Différenciations – néologismes, enjeux des labellisations

Le vocable «anthropogéographie», utilisé depuis au moins 1887, figure parmi les opérations de traduction qui se révèlent progressivement différenciatrices par rapport au lexique ratzélien. L'expression de «géographie humaine», devenue emblématique de la géographie française, est apparue chez Dubois (1888) et, en hapax, dans le premier article de Raveneau (1892). Elle a été utilisée au tournant du siècle comme hyperonyme chapeautant les diverses branches de géographie aux côtés de la géographie physique ou naturelle, et elle a servi de label à l'«école française de géographie», avec la géographie «régionale» (Robic, 1993, 2020b :112 sq). À l'inverse, les Durkheimiens ont utilisé «anthropogéographie» et parfois «géographie politique» pendant toute la décennie 1900. Ils ont néanmoins tenté d'intégrer ce domaine d'étude à leur science en l'assimilant à la catégorie de «morphologie sociale» et ils ont toujours reconnu à Ratzel un rôle de fondateur. Durant plus de deux décennies, les deux expressions ont coexisté chez les géographes. Dans plusieurs articles de Vidal de la Blache, trois vocables se sont concurrencés : géographie politique, anthropogéographie et géographie humaine, ce que l'on retrouve par exemple chez Halford J. Mackinder au cours des années 1890 (Robic, 2020b). Ce qui caractériserait le champ français, c'est l'existence de discussions terminologiques explicites justifiant l'invention de néologismes (chez Brunhes, 1906; Durkheim, 1899b; Mauss, 1906; Vidal de la Blache, 1903a), la mise en place de pratiques de labellisation qui intronisent des vocables nouveaux, et des interpellations entre sciences concurrentes. Ce sont autant de manifestations d'une quête de légitimité jouant sur le statut à accorder à Ratzel comme géographe : inventeur ? initiateur ? inspirateur ? auxiliaire ? patron ?

Ainsi, parmi les moments qui jalonnent la construction disciplinaire de la géographie humaine figure la publication du Tableau de la géographie de la France (Vidal de la Blache, 1903b). Comme le montrent les brouillons de l'auteur, le cas français lui a servi pour tester les positions ratzéliennes sur les «espaces politiques», les effets de l'«étendue» ou les «lois» de développement des États. Il a aussi parfois constitué un contre-exemple, «topique» selon lui, ce qui n'apparaît pas dans les notices qu'il a publiées (tel Vidal de la Blache, 1896a). Paradoxalement son Tableau, portrait d'un État-nation, a été accueilli non comme une livre de géographie politique mais comme un chef d'œuvre de géographie humaine (Robic, 2000). Au même moment, c'est par deux articles contrastés que Vidal s'affirmait comme inventeur de la géographie humaine. Le premier article (Vidal de la Blache, 1898) s'inscrivait dans la tradition allemande incarnée par Ritter (et Humboldt) et prolongée par Ratzel; le second (Vidal de la Blache, 1903a) se rattachait à la «géographie de la vie», donc aussi à la Biogeographie dont Ratzel avait été crédité, mais, pour légitimer son néologisme, Vidal mobilisait explicitement des principes développés par des néolamarckiens pionniers de l'écologie et adoptait un lexique propre, milieu-genre de vie :

Le nom de géographie humaine semble depuis quelques temps s'acclimater en France pour désigner un ensemble de notions qu'exprimeraient insuffisamment les noms de géographie politique ou économique. Il répond à ce que les Allemands appellent anthropogéographie. Un nom nouveau n'exprime pas toujours une chose nouvelle : ici pourtant, c'est le cas […] sous ce titre il convient d'entendre un ordre de recherches procédant de certains principes de méthodes. (Vidal de la Blache, 1903a :219; italiques dans le texte)

En justifiant ostensiblement l'emploi du néologisme et en le faisant dans une revue de débat, Vidal affichait son autonomie et sa légitimité scientifique tout en prenant ses distances avec Ratzel. Inversement, les sociologues durkheimiens créaient, on l'a vu, leurs propres néologismes et, comme en écho, trois ans après cet affichage de la «géographie humaine», Mauss justifiait en acte la pertinence de la «morphologie sociale» et il rappelait généalogies et distinctions :

[N]ous sommes amenés à spécifier notre position à l'égard des méthodes que pratique la discipline spéciale qui a pris le nom d'anthropogéographie [dont le fondateur a été M. Ratzel] […] Si au mot d'anthropogéographie nous préférons celui de morphologie sociale pour désigner la discipline à laquelle ressortit cette étude, ce n'est pas un vain goût de néologisme; c'est que cette différence d'étiquettes traduit une différence d'orientation. (Mauss, 1906 :41 et 44, nous soulignons).

Ainsi de 1899 à 1906, l'école durkheimienne réduit la géographie de Ratzel à un statut d'éveilleuse sur des questions d'ordre spatial, puis d'auxiliaire d'une science véritable (la sociologie) sur un domaine que la morphologie sociale traitait selon elle plus légitimement que la géographie. Mais elle accordait à Ratzel le rôle de fondateur de l'anthropogéographie et elle allait plus tard jusqu'à ériger sa science en norme internationale : «On a reproché à M.B. [Jean Brunhes] d'avoir voulu faire une géographie humaine d'où l'homme serait exclu», rappelait Durkheim (1913 :520), citant implicitement le géographe Maurice Zimmermann (1911) qui avait déploré la faible place que Brunhes (1906, 1910) accordait à la démographie. Durkheim a également tancé l'auteur de la Géographie humaine au nom d'une orthodoxie ratzélienne : «C'était la conception de Ratzel, et il importe de s'y tenir.» (Durkheim, 1913 :521).

4 Alertes et radicalisations – Raum et théorie de l'espace

4.1 Face à l'adversité

Dès le début du siècle, les géographes français ont lancé des cris d'alerte à propos des nouvelles publications de Ratzel, telle la deuxième édition de Politische Geographie (Ratzel, 1903) dont le sous-titre associant États, commerce et guerre leur semblait exprimer une connivence entre l'œuvre ratzélienne et la politique expansionniste du Reich. Ils lisent alors non seulement un «manuel d'impérialisme» (Sion, 1904 : 171) mais encore un système d'action fondé sur routes et réseaux, ce que condense la notion de «Raumbewältige» – une circulation qui «dompte l'espace» (Sion, 1904 :171). Pour autant, une critique frontale de Ratzel n'a été développée qu'en 1911 dans le livre de Camille Vallaux intitulé «Géographie sociale. Le Sol et l'État». Sa préface lançait un défi à Politische Geographie car, affirmait Vallaux, «la géographie politique de Ratzel n'est ni assez objective, ni assez dégagée du souci du présent». En fait Ratzel restait sa référence majeure, avec en contrepoint les formules et manières de faire de Vidal de la Blache (celui du Tableau en particulier). Vallaux y défendait la validité d'une science géographique de l'État où les propriétés physiques du sol, certes agissantes, ne pouvaient être déterminantes.Surtout, il y invalidait la théorie de Ratzel et sa «double formule [fondée] dans la notion de l'espace (Raum) et dans la notion de position (Lage)» (Vallaux, 1911 :396). Selon lui, «l'espace pur» et «indépendant de la nature» de Ratzel était «inopérant» en géographie politique, et sa notion de «position», plus «solide», devrait être complétée (Vallaux, 1911 :397). Contre ces notions, il défendait celle de «différenciation» des lieux sur le globe et l'analyse des «contrastes» ou des «diversités» qui s'y rencontrent. Vallaux restait donc proche de Ratzel tout en mettant en cause sa «théorie de l'espace» (cf. son chapitre V). Son approche, très abstraite, multipliant les classifications et peu illustrée, ne convainquit pas ses collègues (Demangeon, 1913b).

Pour autant, ce sont ces notions d'espace ou de distance et la «théorie de l'espace» de Ratzel, qui ont été découvertes à l'épreuve de la Première Guerre mondiale par les géographes français. Leur prise de conscience est rendue d'abord par l'usage de termes qui expriment la valeur générique de Raum. Comme chez Vallaux, la notion d'espace se substitue à la notion d'étendue qu'avait relevée Vidal auparavant, dans ce passage de 1896 notamment :

Dans son ouvrage sur les États-Unis, M. Ratzel a exprimé avec beaucoup de force l'influence que l'étendue y exerce sur toutes les manifestations de la vie politique et économique […]. L'impression que l'on emporte de ces études est que l'analyse de la notion d'étendue s'impose de plus en plus à la géographie politique. (Vidal de la Blache, 1896a :60, italiques dans l'original).

Puis, durant la décennie 1900, la question de la «théorie» est soulevée par les jeunes savants qui comparent la doxa qui les a formés aux pratiques ratzéliennes. Alors le jeune agrégé Sion oppose le goût de la théorisation à l'épistémologie idiographique qu'il assume : «On regrette ce sens de la diversité des choses, cette conscience de la vie dans l'infinie richesse de ses formes qui est comme l'âme et le charme de la recherche géographique.» (Sion, 1904 :172). Inversement, s'il critique l'expression ratzélienne de «lois spatiales de l'histoire», le jeune sociologue Maurice Halbwachs valorise une démarche scientifique standard indifférente aux circonstances spatio-temporelles :

L'expression de «lois spatiales de l'histoire» est sans doute à critiquer […]. Mais si la géographie, en particulier l'anthropogéographie, doit être autre chose qu'une pure description, il faudra bien qu'elle se soumette à la loi commune des sciences, qui est de faire abstraction, dans la plus large mesure possible, des circonstances de temps où se produisent les phénomènes. (Halbwachs, 1910 :722).

Dans les années 1910 il est question de théorie de l'espace (Vallaux, 1911; Demangeon, 1913a), une expression tardive donc, et inusitée à propos de la notion d'étendue. Durant les années de guerre, une rupture sémantique s'exprime par la conscience de la portée politique et plus généralement de l'agentivité de cette théorie géographique de l'espace. La transition vers une transcription spatialiste des écrits de Ratzel – nous signifions par là une traduction de Raum qui use d'un champ lexical centré sur l'espace ainsi qu'un commentaire qui relève le statut théorique du terme et souligne la fonction pragmatique du texte – peut donc s'observer au travers des lectures successives qu'en ont fait des géographes et par les comptes rendus issus des générations nouvelles. Durant le conflit, cette révélation se cristallise dans l'adversité et s'exprime en grand dans la France de l'Est de Vidal de la Blache ainsi que dans sa réception immédiate : «L'agrandissement au sens tout matériel, l'étendue, Raum, suivant l'expression de ses théoriciens de géographie politique, est la mesure de vitalité et de santé d'un État.» (Vidal de la Blache, 1917 :197).

4.2 Dans la guerre : révisions et renversement de valeurs

En France, une rupture radicale envers l'Allemagne et ses savants s'est produite dans les esprits très vite après le déclenchement de la Grande Guerre (Ginsburger, 2010; Feuerhahn, 2022). C'est dans la France de l'Est que Vidal de la Blache s'est livré à une critique radicale de la politique allemande précédant la guerre. Le chapitre intitulé «L'hégémonie allemande» révèle qu'il a alors perçu le lien intrinsèque existant entre une politique agressive et la théorie du Raum – une théorie de l'État et de ses registres d'action tels le commerce et la guerre, que Ratzel avait placée en exergue de la Politische Geographie (2e édition).

Vidal reconsidère dans ce livre le terme de Raum et il le requalifie doublement. D'abord il le resémantise en comprenant que Raum ne désigne pas une grandeur mais une extension ou mieux une amplification, car ce qu'il dénote, c'est un processus dynamique et potentiellement sans bornes. Cette compréhension nouvelle suppose l'emploi d'analogies et de termes qui relèvent de la physique : «force», «champ d'expansion», «rayonnement d'influence» (Vidal de la Blache, 1917 :197). Vidal dresse par ailleurs le champ pragmatique dont Raum relève, c'est-à-dire l'action visant le politique, qu'il analyse dans son livre comme volonté d'hégémonie d'une puissance bafouant la liberté des peuples et des nations :

Il s'est révélé entre cette Allemagne et l'Europe occidentale tout ce qu'une apparence trompeuse de relations pacifiques cachait d'oppositions de traditions et de principes […] Telle est la construction qui nous est apparue à travers la fumée des champs de bataille. (Vidal de la Blache, 1917 :203).

Ratzel, qui n'est pas cité dans l'ouvrage, compte probablement parmi les «théoriciens de la géographie politique» (Vidal de la Blache, 1917 :197) et parmi les «historiens et les anthropogéographes allemands» évoqués dans un chapitre fustigeant leur apologie de la puissance et leur capacité à «ériger des faits contingents en lois de l'histoire» (Vidal de la Blach, 1917 :201). Mais son nom figure dans des brouillons de Vidal, avec plusieurs personnalités allemandes dont des «pangermanistes» (Bülow, Treitschke, Caprivi …).

La critique que dresse Vidal de la politique allemande et de ses inspirateurs peut apparaître aussi comme une autocritique dans la mesure où il semble alors revisiter les livres, les cartes, et les notions qu'il a manipulés au cours des années 1880-90 sans saisir le sens qu'il leur accorde alors. Ainsi, révisant le commentaire des réseaux transeuropéens figurant dans son Atlas général, Vidal y repère alors comme une distorsion, à savoir la courbure de l'espace que cette puissance centrale expansive que serait l'Allemagne leur a imprimée pour contrôler une «Europe du milieu» et ses extensions mondiales (Robic, 2020a). Il estime que «[l]'axe commercial de l'Europe avait subi, par le travail des quarante dernières années, une déviation sensible vers le sud-est » (Vidal de la Blache, 1917 :198).

On peut penser aussi que cette révision gestaltique s'opère sous l'effet de la nouvelle grammaire cartographique que développent à l'époque des auteurs comme André Chéradame (Ginsburger, 2015). Ce publiciste a pu corriger la vision de Vidal en figurant par des sortes d'anamorphoses les territoires d'Europe centrale – ce type de transformation cartographique ayant été imaginé auparavant par Ritter (voir aussi Raffestin et al., 1995 :243 sq.).

Cette reconfiguration sémantique et pragmatique de la théorie du Raum, en situation de guerre, nous paraît particulièrement intéressante par le renversement dont elle témoigne en matière d'ethos scientifique et de conviction personnelle. Les derniers chapitres de la France de l'Est constituent en effet un plaidoyer pour une future action politique à plusieurs échelles - France, Empire, Europe, avec la construction d'une Europe occidentale comme puissance politique alternative à une Mitteleuropa sous influence. Le renversement le plus spectaculaire consiste toutefois en ce que Vidal de la Blache privilégie cette fois l’argument politique alors qu’il avait répété jusque-là que la modernité résidait dans l'économique, une modernité impliquée par la révolution des transports7. La situation de guerre entre la France et l'Allemagne conduit Vidal à renier cette conviction en valorisant la Révolution française et ses valeurs d'émancipation personnelle et collective, bafouées selon lui par une «conception d'inégalité et de subordination entre les peuples» (Vidal de la Blache, 1917 :203). Se ressourçant dans les valeurs politiques considérées comme fondatrices de l'identité française et déconstruisant l'expansionnisme allemand, Vidal a puisé dans une critique idéologique un remède contre l'humiliation qu'avait pu représenter pour lui et sa génération la défaite de 1870; il faisait rejouer le différend fondamental remontant à la Révolution française (Feuerhahn, 2021). Réhabilitant le dualisme classique depuis le début du XIXe siècle de l'adhésion des peuples (à la française) contre la contrainte (à l'allemande), la réflexion de Vidal dans la situation de guerre le libérait du mirage allemand et de la «crise française de la pensée allemande».

Les réactions d'un élève de la première heure, Lucien Gallois, témoignent de l'adhésion de l'un des proches de Vidal à ses vues : Gallois (1918) semble partager son interprétation et radicalise encore la compréhension du conflit mondial décrypté par Vidal en guerre pour gagner ce qu'il dénomme un «espace vital» (Gallois, 1921). En effet, dans sa notice sur la France de l'Est comme dans son hommage nécrologique, c'est en termes de «théorie de l'espace» associée à une «théorie de l'action étatique» que Gallois rendait compte de cet ouvrage :

On vit alors des géographes mettre sur pied la théorie de l'espace, Raum, considéré comme le principe, comme la condition nécessaire de la vitalité d'un État […] Mais la théorie de l'espace suppose que l'espace est libre […] L'idée de la force, condition nécessaire à tout progrès matériel, s'associait à l'idée d'extension […] Ainsi naquit la conception que l'Allemagne cherche à réaliser dans la guerre actuelle : s'étendre partout. (Gallois, 1918 :19–22).

Gallois exerçait par ailleurs sa propre vigilance lors de ses lectures de guerre de sorte que, parmi les premiers auteurs français, il a rendu par l'expression d'«espace vital» le terme de Lebensraum qu'avait employé abondamment Albrecht Penck dans son discours de rentrée de l'université de Berlin en septembre 1917. Ce faisant, Gallois le resémantisait par rapport à de précédents usages en restituant le caractère d'impératif territorial exclusif de toute autre légitimité que Penck lui accordait :

Insiste particulièrement sur [les frontières] des Etats civilisés européens. Les meilleures correspondent à l'espace vital (Lebensraum) indispensable à la vie et à la sécurité d'un Etat. Mais cet espace vital ne coïncide pas toujours avec le sentiment national des populations. Quand il y a ainsi désaccord, il faut que le sentiment national à base ethnographique soit remplacé par un patriotisme à base territoriale. (Gallois, 1921 :77).

5 Conclusion

Cette étude rappelle la stature qu'a acquise la figure de Ratzel en France dans la période de croissance des sciences sociales et de disciplinarisation universitaire des décennies 1880–1910. Elle montre aussi les ambivalences de cette réception qui combine une vive critique et la reconnaissance de sa fécondité intellectuelle et de la richesse de la science qu'il représente, en cette période de «défi allemand». Durant sa vie, les travaux d'anthropogéographie et de géographie politique de Ratzel ont été mobilisés par d'autres spécialistes que les seuls géographes, dans leurs efforts respectifs pour construire une science positive des sociétés. Les interactions qui les ont liés manifestent leur inscription dans un même champ de science sociale au sein duquel leur interprétation de l'œuvre ratzélienne était activée par des concurrences, des solidarités (notamment entre géographes et historiens) et des hiérarchies bien ancrées à l'université. Cette interprétation était aussi encadrée par des systèmes institutionnels (telles la dualité Sciences/Lettres, l'association histoire-géographie, la polarisation parisienne) différents des structurations et des tensions allemandes (dualité sciences de l'esprit/sciences de la nature; décentralisation universitaire; coexistences disciplinaires en faculté de philosophie, en général), ce qui rendait aussi les dialogues délicats. Il serait donc illusoire de lire les textes (articles, notices, commentaires …) au premier degré, indemnes des enjeux et des clivages unissant paradoxalement auteurs et sous-champs scientifiques. Si on avait pu les analyser de plus près, les modalités de la réception de Ratzel examinées ici révèleraient des effets de génération et d'assise institutionnelle, des possibilités d'alliance, ainsi que des réactions communes, telle la tension latente entre communautés nationales.

L'étude lexicale rappelle l'écart qui distingue la géographie ratzélienne de la géographie vidalienne en montrant comment la géographie humaine, de pâle décalque de l'anthropogéographie, a été construite au tournant du siècle en une science écologique ou du milieu. Celle-ci est inspirée par des naturalistes d'inspiration néolamarckienne, alors que Ratzel avait ancré sa science dans un modèle évolutionniste fondé sur des phénomènes migratoires et des différenciations dépendantes de la disponibilité de l'espace.

Parmi les modalités les plus inattendues de réception de Ratzel figurent des contournements de ce Maître en géographie par la référence à un autre Allemand, Karl Ritter, qui apparaît comme une ressource essentielle des géographes français. Vidal de la Blache et la plupart de ses collègues le présentent comme le créateur de la géographie de l'homme, un fondateur dont Ratzel serait un continuateur mais aussi une sorte de «développeur» rompant avec la philosophie naturelle et mettant la géographie rittérienne au niveau de la science du XIXe siècle : une science de la vie. Cependant, la valorisation de Ritter est loin d'être strictement tactique, simple parade face à un contemporain marquant, Ratzel. En effet, Vidal a mobilisé Ritter très tôt dans sa carrière, comme l'ont fait d'autres historiens et géographes-historiens tels Élisée Reclus et Louis-Auguste Himly, auquel Vidal a succédé à la Sorbonne; en outre Vidal a revivifié Ritter, en particulier en actualisant sa conception relativiste de l'activité spatiale de «l'élément humain». Dans ce champ des sciences sociales émergentes, les durkheimiens ont mobilisé à leur manière une telle tactique de contournement, d'abord en créant au sein de la sociologie le sous-champ de la morphologie sociale qui court-circuite l'anthropogéographie ou la géographie humaine, ramenées à de simples disciplines; en focalisant le regard de leurs lecteurs sur le rôle de fondateur joué par Ratzel en matière d'anthropogéographie, ils ont en outre rabaissé la force d'innovation des géographes français.

Enfin, la réception de Ratzel en France a fait l'objet d'une transformation radicale en tombant d'abord sous la critique déontologique et politique, devenant le symbole d'une science sous influence, au service de l'expansionnisme germanique. Cette image n'a pu que s'amplifier avec le déclenchement de la Première Guerre mondiale, la figure de Ratzel arborant une autre échelle, celle d'inspirateur d'une quasi-école activiste de géographie politique et d'anthropogéographie, et une autre nature, celle de théoricien : un théoricien de l'espace comme expansion territoriale, en phase avec une politique impérialiste. Dans ce conflit, un dualisme ancien était réactivé et amplifié : les géographes tels Vidal de la Blache et celui qu'on a appelé son «lieutenant», Lucien Gallois, faisant rejouer le schème séculaire opposant le modèle allemand et le modèle national «à la française», et élargissant celui-ci à un modèle «européen» ou «occidental» plus adapté à l'échelle-monde du XXe siècle dont témoignait la Grande Guerre.

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Intérêts concurrents

L'auteure déclare qu'il n'y a aucun conflit d'intérêts.

Clause de non-responsabilité

Publisher's note : Copernicus Publications remains neutral with regard to jurisdictional claims in published maps and institutional affiliations.

Remerciements

Je remercie Ulrike Jureit, Patricia Chiantera-Stutte, Hugo Cupri, Wolf Feuerhahn, Nicolas Ginsburger, Olivier Orain et tou·te·s les participant·e·s aux rencontres de Villa Vigoni, ainsi que les deux évaluateurs.trices de la revue pour leurs relectures attentives et leurs conseils avisés.

Contrôle par les pairs

This paper was edited by Benedikt Korf and reviewed by two anonymous referees.

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1

L'Année sociologique et le sociologue non-durkheimien René Maunier relèvent la présence de Ratzel dans cette revue.

2

Selon l'index, Vidal et Durkheim sont mentionnés dans 38 p. et 36 p. du livre, loin de Bodin et Durkheim (15 p.).

3

Seuls 4 des 22 «mémoires» originaux publiés dans l'Année sociologique avant 1914 sont signés par de tels auteurs, dont Simmel, Ratzel et Steinmetz (Karady, 1979).

4

Voir, dans le tableau 1 de Robic (2014), les flèches indiquant de tels cas d'inter-référence.

5

À notre connaissance la première occurrence figure dans Camena d'Almeida (1887 :227).

6

Ce cours que Ritter a prononcé à Berlin en 1833 a été repris dans un volume de mélange paru en 1852 (cf. Ritter, 1852). Ce texte était alors bien connu. Ainsi, revenant d’une mission en Allemagne, Camena d'Almeida (1887 :222) rappelait : «La géographie, avait dit Ritter, ne peut se passer de l'élément historique, si elle veut être la notion réelle de la terre, et pas seulement une œuvre abstraite.» – une citation reprise par Dubois (1888 :462). Voir dans Ritter (1974), une traduction moderne de ce cours en français, due à Danielle Nicolas-Obadia et adoptant en titre l'expression «Le facteur historique».

7

Vidal partageait sur ce plan les analyses de Ratzel et rappelait tant les saint-simoniens que le discours de Ritter (1852) sur la relativité de l'espace liée aux transformations des systèmes de communication.

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At the end of XIXth century, French authors shared a posture that mixed admiration and criticism toward German science. Reference to Ratzel was used both for structuring human geography and feeding a struggle between geographers and other social scientists. Divergences with Ratzel’s work deepened during the war and lead geographers to revisit his key notion, Raum, by giving it a pragmatic sense in the light of pangermanism and interpreting it not as mere expanse but as a process of enlargement.