Articles | Volume 78, issue 4
https://doi.org/10.5194/gh-78-523-2023
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Book review
 | 
25 Oct 2023
Book review |  | 25 Oct 2023

Book review : Twin cities across five continents

Christophe Sohn
Dates

Mikhailova, E. and Garrard, J. (Eds.) : Twin cities across five continents : interactions and tensions on urban Borders, Routledge, London and New York, ISBN 978-0-367-60924-5, 2021.

L'ouvrage Twin cities across five continents édité par Ekaterina Mikhailova et John Garrard est consacré à l'analyse pluridisciplinaire des villes jumelles dans différents contextes régionaux, historiques et (géo)politiques. Il fait suite à un premier volume sur le sujet publié par le même duo éditorial il y a quelques années (Garrard et Mikhailova, 2019). Ce deuxième opus propose une compréhension plus approfondie du phénomène des villes jumelles et de leurs caractéristiques distinctives à travers la mobilisation d'un grand nombre de cas issus de tous les continents. Comprenant 24 chapitres rédigés par 33 expertes de 17 pays, dont une introduction et une conclusion, l'ouvrage est organisé en trois parties. La première partie, forte de cinq chapitres, est dédiée aux villes jumelles qualifiées d'«internes » car localisées au sein d'un même État comme, par exemple, les petites villes monastiques anglaises apparues au Moyen Age (chap. 2), Gold Coast et Tweed Heads le long de la frontière entre le Queensland et la Nouvelle-Galles du Sud en Australie (chap. 4) ou encore les villes italiennes de Messine et Reggio de Calabre qui forment une ville jumelle embryonnaire (chap. 6). La deuxième partie porte sur les villes jumelles dites «externes» , c'est-à-dire impliquant une frontière internationale. Elle compte 16 chapitres qui explorent successivement les cas de ces villes jumelles «externes» sur chacun des continents. Aux côtés de cas relativement bien connus, voire emblématiques, comme Aqaba et Eilat au point de rencontre entre la Jordanie et Israël (chap. 10), Lomé et Aflao à la frontière entre le Togo et le Ghana (chap. 11) ou encore les deux Nogales le long de la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique (chap. 21), figurent également des exemples moins étudiés quoique tout aussi fascinants, comme Khorgos à la frontière sino-kazakhe (chap. 15), Saint-Laurent et Albina à la frontière de la Guyane française et du Suriname (chap. 16) ou Ouanaminthe et Dajabón à la frontière entre Haïti et la République dominicaine (chap. 22). La dernière partie comprend deux chapitres. Le premier est consacré aux villes jumelles dans les fictions, en particulier la littérature et le cinéma (chap. 23). Le second clôt l'ouvrage en proposant un tour d'horizon des villes jumelles qui n'ont pas été examinées dans les deux ouvrages publiés par l'équipe éditoriale (chap. 24).

À travers la diversité des cas d'études abordés, Twin cities across five continents propose une analyse riche et contextualisée d'un phénomène singulier caractérisé par la présence d'entités urbaines situées à proximité l'une de l'autre. Les villes jumelles en question peuvent renvoyer à des agrégats urbains de tailles disparates allant de la simple bourgade à des métropoles mondialisées en passant par diverses formes de conurbations et, contrairement à ce que leur gémellité laisserait supposer, ces entités urbaines adjacentes sont parfois très différentes sur les plans démographiques, économiques, culturels et identitaires. Leurs conditions d'émergence et de développement sont également tout aussi diverses et variées  : de la croissance plus ou moins «spontanée» à la duplication planifiée, aux effets de synergie induits par l'évolution des technologies de transport en passant par la partition d'une ville en deux suite à l'imposition d'une frontière, pour ne citer que les processus les plus courants. Les relations qui se nouent entre villes jumelles, plus exactement entre leurs édiles et entre leurs habitants, sont tout autant remarquables puisqu'elles sont souvent marquées par des tensions entre amitié et rivalité, ouverture et repli sur soi, coopération et compétition. Au sentiment de proximité ou de similitude à ses voisines s'oppose parfois la nécessité de se distinguer, d'affirmer sa différence. Ces relations fondamentalement ambivalentes traversent l'ensemble des cas examinés dans l'ouvrage, avec des modalités d'expression et des degrés d'intensité variables. Elles trouvent leur origine dans l'autre composante incontournable des villes jumelles, à savoir la présence d'une frontière.

Un des grands mérites de cet ouvrage, dans la continuité du volume précédent, est de considérer différents types de frontières, en particulier celles internes aux États comme les frontières municipales ou celles entre États fédérés, et celles externes qui correspondent aux frontières internationales. Comme le souligne Ekaterina Mikhailova dans sa brillante introduction (chap. 1), les relations entre villes jumelles «externes» apparaissent parfois plus constructives et apaisées que celles qui animent les villes jumelles «internes» où des rapports inégaux et des rivalités historiques fortes peuvent durablement marquer leur évolution et leur comportement réciproque. Thunder Bay, examinée dans le chap. 3, et les villes jumelles indiennes de Chandigarh, Panchkula et Mohali présentées dans le chap. 5 en sont de parfaits exemples. L'auteure y voit un effet de la para-diplomatie territoriale exercée par certaines villes frontalières ainsi que la conséquence des mouvements transfrontaliers quotidiens de nombre de leurs habitantes qui contribuent à tisser des liens et à rapprocher les deux côtés. En d'autres lieux, le rôle de la frontière internationale est déterminant dans l'ambiguité des relations interurbaines et dans l'identité des villes jumelles, illustrant ainsi la diversité des situations et des contextes (voir le cas de Chuí et Chuy à la frontière entre le Brésil et l'Uruguay, chap. 18).

Dans bien des circonstances, les villes jumelles sises de part et d'autre d'une frontière internationale apparaissent avant tout comme des lieux d'expression privilégiée de tensions dont l'origine peut être locale ou globale, ancienne ou récente. L'ouvrage montre ainsi avec brio comment ces doublons urbains peuvent constituer des révélateurs, ou des «thermomètres» pour reprendre le terme proposé dans l'ouvrage, des effets de grandes crises ou défis qui caractérisent notre époque. On citera pêle-mêle la pandémie de la COVID-19 (Chandigarh-Mohali-Panchkula, chap. 5 ; les Eurocités à la frontière hispano-portuguaise, chap. 8), les situations de conflits armés et les périodes qui leur font suite (Slavonski Brod-Brod à la frontière de la Croatie et de la Bosnie-Herzégovine, chap. 9 ; Aqaba-Eilat, chap. 10), les tensions géopolitiques entre grandes puissance et leurs États affiliés (Dandong et Sinuiju à la frontière sino nord-coréenne, chap. 13) ainsi que les héritages encombrants des régimes coloniaux (Ketu et Imeko entre le Bénin et le Niger, chap. 12 ; Saint-Georges et Oiapoque à la frontière de la Guyane française et du Brésil, chap. 17), les fortunes contrastées de villes jumelles soumises aux vicissitudes géopolitiques et aux trajectoires économiques divergentes de leurs États respectifs (les villes frontalières prussiennes, chap. 7 ; Zabaikalsk et Manzhouli à la frontière sino-russe, chap. 14), les dynamiques d'intégration économique macro-régionale (Foz do Iguaçu, Ciudad del Este, Puerto Iguazu au point triple du Brésil, du Paraguay et de l'Argentine, chap. 19), les flux migratoires (les deux Nogales, chap. 21) et la sécuritisation/militarisation des frontières (conurbation transfrontalière de Niagara Falls à la frontière entre le Canada et les Etats-Unis, chap. 20). Dans tous les cas abordés, les frontières, qu'elles soient infranationales ou internationales, apaisées ou disputées, poreuses ou fortifiées, lieux de convergence ou de polarisation, constituent des discontinuités politiques signifiantes car elles structurent l'espace et les sociétés (Groupe frontière et al., 2004). La proposition de l'ouvrage de les considérer ensemble s'avère donc pleinement justifiée.

Il importe enfin de souligner la contribution conceptuelle d'Ekaterina Mikhailova et de John Garrard quant à la notion contestée de ville jumelle (voir notamment  : Arreola, 1996; Buursink, 2001). En effet, la référence à la gémellité supposée des entités urbaines adjacentes ne se vérifie que rarement dans les faits. Au-delà de quelques cas emblématiques qui ont par ailleurs parfois adopté cette dénomination comme label, l'urbanisation des frontières donne à voir une multitude d'agencements urbains qui résistent à toute tentative de classification trop rigide (Sohn, 2017, 2020). Face à une réalité multiforme, l'équipe éditoriale propose une définition des villes jumelles suffisamment large pour éviter les travers d'un particularisme stérile et suffisamment spécifique pour ne pas en faire un concept-valise incapable de saisir la singularité de l'objet étudié. Undes enseignements clés qui se dégage de l'ouvrage est que la persistance des villes jumelles à travers l'histoire, en dépit du caractère peu «rationnel» de cet agencement spatial qui repose sur des doublons et de leur vulnérabilité face aux risques frontaliers, tient dans les tiraillements dont elles sont continuellement l'objet. Paradoxalement, c'est le jeu incessant des forces d'attraction et de répulsion, d'ouverture et de fermeture, de convergence et de différenciation générées par la frontière qui justifie l'existence même des villes jumelles. Trop proches pour s'ignorer, trop différentes pour s'unir, elles sont condamnées à une situation d'entre-deux propice à l'invention de nouvelles pratiques frontalières et urbaines.

En définitive, cet ouvrage qui propose un corpus d'études de cas centrées sur les villes jumelles de par le monde représente une contribution unique en son genre. Par ailleurs, comme ce sujet de recherche reste sous-exploité, aussi bien au sein des études urbaines que des études frontalières, on ne peut que recommander ce travail de référence aux chercheures, enseignantes et étudiantes intéressées par les villes frontalières et leurs avatars. Enfin, compte tenu du fait que le nombre de villes jumelles dans le monde continue d'augmenter par les effets combinés de l'urbanisation des régions frontalières et des pratiques de «frontiérisation» (bordering) à l'œuvre, la réflexion proposée invite à poursuivre les investigations et à les faire fructifier. À cette fin, le recours à des approches comparatives telles que l'analyse qualitative comparative offre, me semble-t-il, des perspectives prometteuses car susceptibles d'approfondir la compréhension des conditions et des mécanismes qui sous-tendent la formation et l'essor des villes jumelles.

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Références

Arreola, D. D. : Border-city idee fixe, Geogr. Rev., 86, 356–369, 1996. 

Buursink, J. : The binational reality of border-crossing cities, GeoJournal, 54, 7–19, 2001.  

Garrard, J. and Mikhailova, E. (Eds.) : Twin Cities : Urban Communities, Borders and Relationships over Time, Routledge, London and New York, ISBN 978-0-367-58670-6, 2019. 

Groupe Frontiere, Arbaret-Schulz, C., Beyer, A., Piermay, J.-L., Reitel, B., Selimanovski, C., Sohn, C., et Zander, P. : La frontière, un objet spatial en mutation, EspacesTemps.net, Textuel, https://www.espacestemps.net/articles/la-frontiere-un-objet-spatial-en-mutation/ (last access : 18 September 2023), 2004. 

Sohn, C. : Cartography of a blind spot : An exploratory analysis of European border cities, Tijdschr. Econ. Soc. Ge., 108, 512–518, 2017. 

Sohn, C. : Les agglomérations transfrontalières, in : Amilhat-Szary, A.-L. et Hamez, G. (éds.), Frontières, Paris, Armand Colin, 332–340, ISBN 978-2-200-62977-9, 2020.