Articles | Volume 78, issue 4
https://doi.org/10.5194/gh-78-527-2023
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Book review
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01 Nov 2023
Book review |  | 01 Nov 2023

Book review : Les espaces publics à l'épreuve des mobilités

Gonçal Cerdà Beneito
Dates

Fleury, A., Frétigny, J.-B., et Kanellopoulou, D. (éds.) : Les espaces publics à l'épreuve des mobilités, Presses Universitaires de Rennes, Rennes, France, 172 pp., ISBN 978-2-7535-8376-4, EUR 24,00, 2022.

Nous traversons quotidiennement de nombreux espaces au sein desquels nous croisons d'autres personnes aux motivations et comportements variés. Ces déplacements nous amènent à prendre part à ces espaces, à nous les approprier, voire à les transformer, par exemple lorsque des foules occupent les rues d'accès à un stade. Les configurations spatiales conditionnent aussi notre mobilité comme lorsqu'une autoroute urbaine rend difficile les échanges entre deux quartiers. Mobilités spatiales et espaces publics s'avèrent donc intrinsèquement liés et il importe d'examiner la complexité de ces entrelacements. En s'appuyant sur des contributions issues d'un séminaire organisé entre 2016 et 2018 par l'équipe éditoriale (Antoine Fleury, Jean-Baptiste Frétigny et Dimitra Kanellopoulou), c'est le pari que relève l'ouvrage Les espaces publics à l'épreuve des mobilités. Structuré en neuf chapitres regroupés de manière équilibrée en trois parties thématiques, il propose sur 172 pages – incluant introduction et postface – d'analyser les dynamiques qui relient mobilités et espaces publics d'avancer dans la compréhension des interactions entre rapports de pouvoir, pratiques de mobilité, aménagements et appropriations des espaces publics.

L'introduction, rédigée par l'équipe à la direction de l'ouvrage, permet d'identifier trois conceptions de l'articulation entre mobilités et espaces publics qui sont considérées comme dominantes dans la littérature en sciences sociales. L'une qualifiée de «fluide» évacue les rapports de pouvoir ; l'autre désignée comme «critique» néglige le rôle sensible des vécus quotidiens; et une troisième définie comme sensible ou «incarnée» ignore les ancrages sociaux. Une quatrième figure nommée «translocale du passage» y est proposée afin de fixer un fil analytique commun à l'ouvrage. L'intérêt de cette nouvelle approche est d'articuler différentes échelles allant de de la rue aux échanges mondialisés ; de mélanger l'anonymat et l'interconnaissance, voire l'ancrage territorial ; de prendre en compte la position sociale des individus, dans une perspective intersectionnelle et attentive à la dimension politique des diverses interactions.

Intitulée «Pouvoirs», la première partie de l'ouvrage rassemble les contributions portant à la fois sur les jeux d'acteurstrices institutionnelles et sur les rapports sociaux. Maxime Huré (chap. 1) retrace l'évolution des systèmes de mobilités partagées en se focalisant sur les vélos en libre-service, notamment en France. Il conclue que l'espace public et son organisation fonctionnent comme un marché capitaliste, avec des régulations publiques plus ou moins importantes en fonction des contextes et de la place accordée aux entreprises. Damien Masson (chap. 2) cherche lui aussi à comprendre la portée politique des espaces publics lors des mobilités les plus ordinaires. Pour cela il part d'expérimentations méthodologiques telles que l'observation vidéographique et la recherche-création d'un parcours sonore dans des gares à Londres et à Paris. Enfin, Florent Chossière (chap. 3) mobilise une approche intersectionnelle pour comprendre comment des personnes migrantes homosexuelles pratiquent l'espace public en région parisienne. Ainsi, il montre les multiples manifestations et vécus des rapports de pouvoir et leurs mutations en fonction des espaces publics traversés et des mobilités passées.

Sans que cela soit explicité, le chapitre de Chossière constitue une transition vers la deuxième partie. Intitulée «Altérités», elle regroupe des chapitres où les mobilités traduisent un accès complexe aux espaces publics. Le premier chapitre (chap. 4), rédigé par Nicolas Oppenchaim, se penche ainsi sur les rapports de domination entre centre et banlieue, mais aussi en termes de genre et classe. Il s'intéresse à l'apprentissage de la pratique de mobilité des adolescentes des quartiers prioritaires de la banlieue parisienne et aux différentes appropriations conditionnées par le genre et l'influence familiale. Clément Rivière (chap. 5) centre quant à lui sa contribution autour des parents parisiens et milanais, et l'encadrement de la mobilité de leurs enfants. Cet encadrement, considéré comme un travail propre à la socialisation à la parentalité, révèle des tensions dans l'éducation des enfants conditionnées par les milieux sociaux et le genre. La contribution de Brenda Le Bigot (chap. 6) permet de sortir des cas d'études européens : l'autrice analyse l'organisation d'une rue de Bankok et du quartier qui l'entoure , épicentre du tourisme backpacker. L'autrice réussit à déchiffrer la complexité des pratiques spatio-temporelles des touristes et des locaux dans cet espace public.

Comme l'indique son intitulé «Expériences», la dernière partie regroupe des contributions innovantes et expérimentales en termes de méthodologies et d'objets de recherche. En premier lieu, William Berthomière (chap. 7) propose une géographie des écritures dans les espaces publics (tags, autocollants et pochoirs). Il montre que les messages, dont les significations sont plus ou moins invisibles, peuvent traduire un débat public autour des mobilités. Élise Olmedo (chap. 8) avance de son côté des arguments basés sur un travail réflexif et de terrain afin de défendre la cartographie sensible dans la représentation subjective des mobilités dans les espaces publics. Enfin, Florien Guérin (chap. 9) présente les résultats de son enquête sur les mobilités nocturnes de loisirs des jeunes parisiennes où il identifie des ségrégations socio-spatiales et socio-temporelles. Il met en avant l'importance de la marche en définissant d'une part une pratique utilitaire (origine-destination), et de l'autre une déambulation festive plus propice à l'appropriation des espaces publics. L'ouvrage est clôturé par une postface de Nadine Cattan, géographe spécialiste des mobilités quotidiennes, de l'appropriation des espaces publics par les minorités et de la spatialité des émotions, qui fait une lecture générale de ce recueil.

Parce qu'il prend le parti de réunir des contributions variées tant en termes de structures formelles que de contenus, l'ouvrage peut apparaitre de prime abord un peu déconcertant. En effet, tisser des liens entre des enquêtes de terrain sur les pratiques de groupes sociaux (chap. 3 à 6 et 9), des réflexions s'apparentant à des essais conceptuels et méthodologiques (chap. 2, 7 et 8), ou encore des analyses du rôle des acteurstrices institutionnelles (chap. 1), n'est pas tâche facile pour des lecteurstrices non-spécialistes comme les étudiantes. Le titre choisi pour l'ouvrage risque également de se montrer déconcertant pour la lecture globale de l'ouvrage  : est-ce que ce sont les espaces publics qui sont (mis) à l'épreuve des mobilités ou bien ce sont les pratiques de mobilité qui sont mises à mal par les espaces ? Avant la lecture de l'ouvrage, on aurait pu s'attendre à ce que la première option soit défendue par les contributions. Finalement, l'introduction postule des liens multiples dans les deux sens (p. 13) et les contributions apportent des visions diversifiées. Par exemple, en se basant sur le chapitre de Florent Chossière l'on pourrait conclure que les mobilités sont à l'épreuve des espaces publics étant donné que les refugiées LGBT modifient leurs pratiques en fonction des espaces; alors que la contribution de Brenda Le Bigot illustre la dynamique contraire en montrant comment la configuration d'une rue et d'un quartier est conditionnée par les flux touristiques et locaux. La diversité de ces perspectives tient peut-être au fait que les contributions soient issues d'un séminaire, mais elle n'entrave en rien la qualité de l'ouvrage. Bien au contraire, elle souligne le parti pris de l'ouvrage de considérer la complexité des relations entre espaces publics et mobilités.

L'ouvrage collectif est finalement riche en approches, méthodes et terrains, même si la France et l'Europe sont prépondérantes. La transdisciplinarité est l'une des grandes qualités de l'ouvrage, en dépit d'une prédominance de géographes qui sont au nombre de sept parmi les auteurstrices. Cela montre que, malgré un plus grand investissement par la géographie, l'analyse du croisement entre mobilités et espaces publics bénéficie des visions et des apports de plusieurs disciplines.

L'introduction et surtout la postface font ressortir des éléments de réflexion d'ensemble. Cela permet saisir trois grands apports théoriques du livre  : une (re)définition des mobilités comme «catégorie fondatrice des espaces publics» (p. 166), comme vecteur des normes sociales et des rapports de domination, et comme dépassant le cadre du déplacement humain (mobilité des objets, des messages ou des émotions). Ce recueil contribue ainsi à poser les bases d'un renouvellement nécessaire de la littérature francophone sur les mobilités spatiales. Il peut être comparé à d'autres ouvrages collectifs significatifs tels que «Les territoires de la mobilité» (Bonnet and Desjeux, 2000), «L'accès à la ville» (Lévy and Dureau, 2002), ou «Mobilités & modes de vie métropolitains « (Massot, 2010). Ces derniers ont introduit des éléments novateurs à un moment donné. Toutefois, en accord avec les évolutions théoriques en sciences sociales, il était nécessaire que le champ des mobilités s'empare des approches féministes, et ce au-delà des analyses se réduisant aux disparités femmes-hommes. De nombreuses contributions mobilisent ces approches, ce qui est souligné dans la postface. La mise en lien du genre avec d'autres rapports de pouvoir, tels que les inégalités socio-spatiales bien représentées dans la littérature francophone, contribue au renouvellement du cadre interprétatif des mobilités.

En définitive, cet ouvrage collectif représente un miroir de la complexité analytique des dynamiques sociales autour des mobilités et des espaces publics, ainsi que de la diversité des cadres interprétatifs. Les prolongations de cet ouvrage gagneraient cependant à intégrer davantage la dimension résidentielle des mobilités, absente des contributions telles que présentées. De plus, un dialogue avec la tradition quantitativiste des mobilités pourrait apporter un regard novateur à ce champ d'études.

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Références

Bonnet, M. and Desjeux, D. (éds.) : Les territoires de la mobilité, Presses universitaires de France, Paris, 224 pp., ISBN 978-2-13-050644-7, 2000. 

Lévy, J.-P. and Dureau, F. (éds.) : L'accès à la ville : les mobilités spatiales en questions, L'Harmattan, Paris, 411 pp., ISBN 978-2-7475-2806-1, 2002. 

Massot, M.-H. (éd.) : Mobilités & modes de vie métropolitains : les intelligences du quotidien, l'Oeil d'or, Paris, 331 pp., ISBN 978-2-913661-37-0, 2010.