Book review: Zoos. Aux lisières du domestique de Jean Estebanez (CNRS Éditions, 2025)
Estebanez, J. (éd.) : Zoos. Aux lisières du domestique. Paris, CNRS Éditions, 276 pp., ISBN 978-2-271-14926-8, EUR 25,00, 2025.
L'ouvrage de Jean Estebanez, Zoos. Aux lisières du domestique, publié en 2025 aux éditions du CNRS, s'appuie sur une enquête approfondie sur le zoo comme espace de vie collective, menée dans près de soixante établissements à travers le monde. Géographe de formation et Maître de conférences à l'Université Paris-Est Créteil, l'auteur explore ce qu'il qualifie de décalage troublant, résultant selon lui d'une ambivalence intrinsèque au dispositif spatial du zoo. Ce fil conducteur traverse l'ensemble de l'ouvrage, dont la réflexion se concentre sur les relations et la rencontre avec l'animal.
L'introduction, d'une lecture plaisante, examine la perception du zoo en mettant en lumière les débats médiatiques et les tensions suscitées par ce lieu, notamment en termes «d'enfermement et d'exploitation des animaux, devenus des intolérables» (p. 11) dans notre société. Pourtant, comme l'auteur le rappelle, le zoo demeure un univers familier souvent associé à l'enfance, fréquenté chaque année par des millions de personnes. Ce succès invite à réfléchir au zoo non seulement comme un lieu de domestication, mais également comme un espace où s'expérimentent une multitude de relations aux non-humains. Jean Estebanez met en lumière que le «zoo est souvent le seul contrepoint à une culture visuelle d'animaux omniprésents dans nos imaginaires et pourtant si rares dans nos vies» (p. 17). Il précise qu'en ce sens, le zoo fonctionne comme un dispositif spatial garantissant l'expérience concrète de la présence de l'animal par le contrôle et l'enfermement. Cet animal y demeure tout à la fois extraordinaire et accessible, pleinement vivant et non simple survivant. C'est précisément cette vie que le visiteur vient observer et expérimenter, souligne l'auteur.
L'ouvrage se compose de trois parties. La première explore le décalage entre la présence du vivant et ses représentations, où l'animal devenu icône offre une possibilité de rencontre. La deuxième porte sur une vision dite «moderne» basée sur l'apprentissage de discontinuités entre l'humain et l'animal. Enfin, la troisième partie montre comment le zoo se présente comme une forme d'élevage qui ne dit pas son nom, tout en mettant en lumière les enjeux liés aux pratiques de conservation de la nature, sur lesquels nous reviendrons.
Dans la première partie, l'auteur présente les bestiaires du zoo. Le bestiaire iconique, sauvage et exotique des collections côtoie le bestiaire du coin, celui des animaux locaux, trop petits ou trop ordinaires, à qui le public ne porte que peu d'attention. Selon lui, loin de s'ignorer, les animaux de ces deux ensembles – qui ne se rencontreraient pas dans la nature – tissent néanmoins des liens. Le bestiaire des collections demeure hétérogène : certains animaux se distinguent en fonction d'une hiérarchie fondée sur un «charisme à la fois écologique et esthétique» (p. 31), tenant autant de l'espèce représentée que de l'individu. La démonstration se révèle particulièrement convaincante dans l'analyse consacrée aux gorilles Jessica et Mandazzi du zoo de San Diego, ainsi que dans l'étude des figures exotisées de l'éléphant et de la panthère. De multiples imaginaires collectifs se construisent à partir de ce regard; ce passage de l'ouvrage se révèle particulièrement convaincant. L'auteur souligne – et il s'agit là d'un autre point fort de son propos – la nécessité de se saisir des couples «vie-contrôle», «beauté-représentation», sauvage-domestique comme des continuums en constante renégociation. Il précise la place que la nature et le sauvage occupent dans notre culture (Descola, 2004). En ce sens, la domestication s'organise autour de proximités et de distances avec le sauvage (Galloni d'Istria, 2024) et donne lieu à une constellation de relations «humanimales éminemment politiques» (Estebanez et al., 2013).
Le point de vue nommé «moderne» dans cet ouvrage est disséqué par Jean Estebanez dans la deuxième partie. Au zoo, explique-t-il, l'accent est mis sur la continuité entre l'animal et l'humain afin de permettre la rencontre. Mais cette continuité se dilue par un anthropomorphisme méconnaissant le monde propre de l'animal sauvage, dernier rempart par ailleurs à sa naturalisation aboutie. L'auteur précise que le zoo relève également de la ménagerie, diffusée à l'échelle mondiale. Cette situation suscite une demande accrue, d'autant que le haut taux de mortalité des individus capturés en impose un renouvellement permanent. Jean Estebanez ajoute que cette exploitation tient moralement par notre perception de la nature comme une entité extérieure (Castree, 2017), dont la mise en ordre suppose d'en contrôler tout excès. Le zoo se révèle être un espace de mort dont la violence anthropique est largement invisibilisée, tout comme celle exercée par l'animal sur l'humain ou sur le non-humain. Par ailleurs, il constituerait également un lieu de production de savoirs. L'auteur s'interroge alors : le zoo doit-il être envisagé comme un laboratoire autant que comme un musée ? Le bestiaire de collection constituerait-il un corpus de données à expérimenter, plutôt qu'un simple élevage ? Certains opposent toutefois cette dimension expérimentale, parfois jugée interdite, à la recherche scientifique proprement dite. En ce sens, ordonner la nature apparaît également comme une pratique de la bonne science (p. 121). Enfin, il rappelle que cet ordonnancement artificiel réunit au sein d'un même enclos des animaux qui ne se seraient jamais rencontrés dans leurs milieux naturels, tout en restreignant leurs possibilités d'interaction. Le zoo s'inscrit ainsi dans un rapport à l'exotisme qui prolonge, à sa manière, certaines logiques coloniales.
Dans la troisième partie, Jean Estebanez prolonge sa réflexion en l'inscrivant dans le champ foisonnant et interdisciplinaire de la conservation de la nature (Ducarme, 2019; Lorimer, 2015). Il souligne qu'en dépit du contexte d'enfermement, la pratique de la conservation génère de nouvelles dynamiques relationnelles entre l'humain et l'animal. L'auteur explique alors l'apparition de l'enjeu de «garder sauvage» l'animal au zoo (p. 243), une forme de domestication «techniquement définie comme le contrôle volontaire de la reproduction par les humains pour sélectionner des traits jugés intéressants» (p. 178). Selon lui, la figure récurrente de l'arche de Noé portée par la conservation ex situ, traduirait une quête d'immortalité – portée par les enjeux de dé-extinction (Paganeli et Galetti, 2025) – dans laquelle l'hybride apparaîtrait comme un accident malvenu (p. 216). En tant que dispositif de sauvegarde, le zoo participerait également à une forme de réparation de la nature : la possibilité de réintroduire des animaux nourrirait l'espoir fragile de ré-ensauvager le monde. Ce mouvement soulève une multitude d'enjeux complexes qui mériteraient un approfondissement dans un autre contexte (Zitouni, 2020).
Jean Estebanez propose un ouvrage érudit et richement documenté qui cerne de manière remarquable en quoi le zoo s'apparente à un espace du trouble. La mort, inscrite en creux dans et par ce lieu – une mort quotidienne – tend à être invisibilisée par la vitalité affichée des animaux, des soignants et du public qui le fréquente. Cette tension éclaire en retour la complexité inhérente au lieu, et illustre avec pertinence le concept de «décalage troublant» avancé par l'auteur.
Il demeure que l'humain et le non-humain se rejoignent sur une frontière perméable (Estebanez et Staszak, 2012), sujet en filigrane de ce livre, qui suggère de nouvelles pistes de réflexion. Le bilan mitigé de multiples manipulations du sauvage inciterait tout d'abord à en repenser la définition même. Puis, la notion de «part de l'animal» mise en lumière par Jean Estebanez serait à élargir au règne végétal. Une telle ouverture offrirait des perspectives stimulantes pour enrichir notre compréhension du vivant et des relations inter-espèces (Hathaway, 2015).
Zoos, Aux lisières du domestique constitue un ouvrage de référence pour le champ de la géographie culturelle, notamment pour l'étude du zoo comme dispositif spatial articulant un continuum entre sauvage et domestique, tout en offrant au grand public une lecture agréable, enrichie de précisions érudites. L'ouvrage éclaire les manières dont la vision naturaliste du monde est mobilisée pour construire cet espace de renégociation de l'extraordinaire, avec l'animal comme signifiant. L'auteur souligne à bon escient que nos relations avec l'animal sont multiples, parfois contradictoires, et évoluent au fil des rencontres ou même simplement dans l'attente. Elles recoupent une dimension collective et individuelle : être animal ne signifie pas représenter un groupe homogène, chaque individu possédant une singularité et une personnalité propres. Cette réflexion de l'auteur invite à une exploration future, sous un angle post-humaniste, des dynamiques relationnelles entre le bestiaire iconique, le bestiaire ordinaire et le public. Cette perspective permettrait de décentrer un naturalisme omniprésent dans l'ouvrage – hégémonique, peut-on insister – ainsi que d'un analogisme évoqué par l'auteur malgré les controverses qui entourent ce concept. Ce décentrement se ferait au profit d'une approche offrant une compréhension située de la complexité des réseaux non-humains, envisagés comme des agents activement co-constitutifs de cet espace zoologique. Le rôle du monde végétal, souvent négligé, mériterait aussi d'être souligné, ne serait-ce que parce qu'il est aussi investi d'un imaginaire de voyage immobile (p. 126). En définitive, le zoo rappelle que l'humanité partage une histoire co-construite avec l'animal – et le végétal – et que ce partage repose sur une continuité entre tous les êtres vivants dans notre société, et au delà.