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L'expérience située d'un public et de ses problèmes: écologie d'un rassemblement à Sainte-Soline (France)
This article focuses on the dynamics of a public gathering to explore how, during a collective mobilization, a public experience of a problematic situation emerges. How is a space designed to host such a gathering ? What experiments are conducted within a gathering to define a problematic situation and imagine ways to resolve it ? How do participants build up a common base of shared knowledge, and how do they engage in collective actions with a view to becoming politically operational ? My analysis centers on the gathering that took place in Sainte-Soline (Deux-Sèvres, France) in October 2022, where several thousand people came together to protest the construction of substitution reservoirs (commonly referred to as “mega-basins”). Using an ecological and pragmatist approach, which is rarely applied in the geographical study of collective action, we will show how the space of the “camp” allowed a double movement of concentration of participants around focal points of problematization, and diffraction of problems towards a variety of audiences. We will then show how the demonstration environment enabled participants to build practical and cognitive engagement both with the territory and the problematic situation.
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Les 29 et 30 octobre 2022, entre 4000 et 7000 personnes convergent vers le petit bourg de Sainte-Soline pour manifester leur opposition à un projet de réserves de substitution. Renommées mégabassines par les groupes opposés au projet, il s'agit de grandes réserves d'eau – 500 000 m2 sur une dizaine d'hectares – destinées à soutenir l'irrigation agricole dans un contexte de sècheresses à répétition. Ces infrastructures se développent depuis les années 2000 autour du Marais poitevin. Elles sont financées principalement par des fonds publics et visent à compenser les baisses des prélèvements demandés aux irrigant⋅es en été par des prélèvements hivernaux dans la nappe phréatique. En 2017, le projet des Deux-Sèvres, qui prévoit la création de dix-neuf (puis seize) réserves, cristallise l'opposition. Le collectif Bassines Non Merci voit rapidement le jour pour empêcher le projet, et s'engage dans une série d'enquêtes et d'actions collectives avec des associations, des syndicats et d'autres collectifs. Les membres du collectif craignent en particulier que ces ouvrages maintiennent sur le territoire des cultures jugées responsables des problèmes de sècheresse et de pollution au détriment d'autres modes de production, et que les prélèvements, même effectués en hiver, continuent de générer des assecs importants et contribuent au tarissement des nappes phréatiques. Le rassemblement d'octobre a constitué un tel tournant (turning point) (Abbott, 2001, chap. 8; Bessin et al., 2010) dans la mobilisation anti-bassine que l'événement prendra le nom du village dans lequel il a eu lieu, à la manière de certaines batailles ou faits historiques. Le suffixe «I» (un) sera ajouté après qu'un second rassemblement, au même endroit, soit interprété comme un moment important de répression des mouvements écologistes. Mais le premier rassemblement est celui à partir duquel un nombre très important de personnes entendent parler des mégabassines1 pour la première fois en France et dans le monde.
La recension des articles de presse mentionnant ces infrastructures hydrauliques nous en donne la mesure. Dans la presse nationale, on dénombre 14 articles entre 2019 et 2021, et 265 entre 2022 et 2024. Dans la presse internationale, le ratio passe de 17 à 725 après l'événement sur les mêmes périodes (Source : Europresse). Cette visibilité accrue constitue un indicateur essentiel de la transformation de l'enjeu en cause publique. Une analyse de ce corpus de presse en termes de mobilisations des ressources pourrait expliquer cette visibilité soudaine par le dépassement d'un seuil dans le nombre d'organisations impliquées, dans l'efficacité de leurs porte-paroles ou les choix stratégiques effectués dans un répertoire d'actions collectives. Une lecture en termes de processus politique y verrait le résultat d'un contexte favorable : une série d'ouvertures à la société civile sur les questions d'écologie et de politiques de l'eau, associée à la clôture de certaines décisions par un État centralisé, amenant des challengers à élaborer des stratégies d'actions dans la perspective d'étendre l'institutionnalisation de leurs causes. Une approche en termes de cadres, enfin, mettrait l'accent sur la capacité de leaders à produire des définitions efficaces de la situation et à les rendre audibles dans l'espace médiatique, et pourrait compiler une liste des différentes perspectives sur le problème énoncées dans ce corpus de presse. Mais s'en tenir à cette analyse de contenu reviendrait à réduire l'événement à sa surface discursive, en risquant de confondre l'écho d'un problème avec l'expérience qui l'impulse.
Cet article attache donc à interroger ce que peut nous apprendre la description d'un rassemblement public sur les manières dont se configurent et se diffusent des actions collectives et des problèmes publics, avant leurs formulations dans la presse ou dans des parlements. Il questionne comment des perspectives hétérogènes parviennent à s'associer et à s'accorder dans l'espace-temps d'un rassemblement, puis à s'engager dans des lignes d'actions collectives; mais également comment la partition spatiale d'un rassemblement, ses pleins et ses vides, ses seuils et ses frontières, forme le creuset de l'expérience collective d'une situation problématique. Quels arrangements écologiques permettent à des scènes de problématisation et de publicisation d'avoir lieu ? Dans ce numéro consacré à «apprendre des territoires en conflit», cet article propose d'examiner ce que l'on peut apprendre d'une mobilisation collective à partir d'une description située, observée au plus près, d'un événement, et de montrer en quoi un rassemblement public peut constituer un milieu d'apprentissage collectif pour ses participant⋅es.
Pour ce faire, je mobilise principalement le matériau de première main que j'ai rédigé en participant au rassemblement, dans le cadre d'une enquête ethnographique menée entre septembre 2022 et juin 2025 auprès des collectifs opposés au projet. Ce travail s'inscrit dans le cadre d'une thèse en sociologie des mobilisations collectives et des problèmes publics, qui vise à rendre compte de l'écologie des enquêtes, des actions collectives et des problèmes autour de ces réserves de substitution dans le Poitou. Lors du rassemblement, un carnet à la main, j'ai été particulièrement attentif aux interactions et à la disposition spatiale des scènes observées. J'ai également enregistré et retranscrit les prises de paroles publiques, amplifiées par microphone ou mégaphone. Ma participation à l'événement sur quatre jours, au début de mon terrain, a été facilitée par le fait que de nombreuses personnes présentes ne se connaissaient pas entre elles ni avec les collectifs organisateurs. De plus, il était rappelé à plusieurs reprises que les journalistes devaient être bien accueillis, ce qui m'a permis assez rapidement de sortir mon dictaphone et mon carnet sans crainte des conséquences d'être perçu comme journaliste. J'ai participé à la manifestation et à la vie sur le camp au même titre que les militant⋅es, sans dissimuler mon statut de doctorant ni mon objet de recherche lorsqu'une discussion s'engageait. J'ai complété l'analyse de ces notes de terrain par la lecture d'articles de presse, de textes et d'images publiées en ligne. Au moment de la rédaction de cet article, j'ai participé à une dizaine de rassemblements publics, à autant de temps de réunion entre les collectifs impliqués, à des scènes de négociation avec des représentants d'administrations et à trois audiences au tribunal administratif. Des séjours prolongés m'ont également permis d'observer le quotidien de personnes plus ou moins rattachées aux collectifs contestataires et de mener une vingtaine d'entretiens et parcours commentés, mais ce matériau n'est pas mobilisé dans cet article2.
La première partie revient sur le récent intérêt dans les sciences sociales pour la dimension spatiale de mouvements contestataires et leurs ancrages théoriques. J'y montre l'intérêt d'orienter certaines questions de recherche vers une focale écologique – au sens d'écologie humaine (Park, 1921 et 1936; McKenzie, 1924) – imprégnée de la philosophie pragmatiste, qui permet d'aborder l'espace comme milieu, situant le regard analytique au plus près de l'expérience. Je décris dans la deuxième partie l'espace du camp pour comprendre les arrangements écologiques qui permettent à l'événement de se tenir. Cela me permet de resituer le rassemblement dans un maillage de participant⋅es et d'événements interreliés, et de décrire les moyens employés pour faire d'un champ un espace de publicisation et de problématisation. Le camp y est décrit comme un dispositif qui rassemble un public autour de la définition d'une situation problématique, diffracte des problèmes vers une pluralité d'auditoires, et oriente son attention vers des lignes d'actions en vue de la transformer. La dernière partie détaille le geste charnière de la «prise de la bassine» au terme de la manifestation, c'est-à-dire l'intrusion en public d'un cortège sur le chantier de la mégabassine. Je soutiens que cette «prise» a constitué un opérateur de publicisation, qui a joué un rôle important dans l'extension de l'espace de médiation du problème. En éprouvant les capacités pratiques du public, elle lui permet de constituer une succession de prises cognitives et pratiques sur l'infrastructure contestée, et d'impulser un flux de conséquences qui déborde de l'espace et du temps du rassemblement.
Depuis deux décennies, une série d'enquêtes proposent de renouveler les études sur les mobilisations collectives en s'intéressant à leur dimension spatiale (Miller, 2000; Tilly, 2000; Sewell, 2001; Melé et al., 2003; Nicholls et al., 2013; Dechézelles et Olive, 2016 et 2019; Pailloux et Ripoll, 2019). Ces chercheur⋅euses, dans le domaine de la géographie, de la sociologie, de l'histoire ou des sciences politiques, s'accordent sur le constat que l'espace a longtemps été un impensé des enquêtes sur l'action collective (Hmed, 2008), malgré le truisme que toute action a nécessairement lieu quelque part (Auyero, 2005). Aux États-Unis, ces perspectives se sont particulièrement développées dans le sillage des travaux de McAdam et al. (1998, 2001) sur la politique contestataire. Leur proposition d'inscrire les processus contestataires dans leurs contextes historiques et politiques a été suivie d'appels réguliers à conceptualiser une géographie des mouvements contestataires, comme dans la revue Mobilization (Martin et Miller, 2003). L'espace n'y est plus considéré comme simple décor des activités humaines, mais comme le produit de relations sociales et de luttes de pouvoir qui organisent en retour les activités sociales (Lefebvre, 2000). Appliquée à l'étude de mobilisations collectives, cette acception relationnelle de l'espace permet d'explorer comment des configurations spatiales, produites socialement, jouent un rôle dans l'émergence et la dynamique de processus contestataires, et réciproquement comment des groupes contestataires peuvent modifier «les sens et les usages stratégiques» d'un environnement donné (Sewell, 2001 :56). En France, les études explorant ce type de réflexions se sont multipliées sur les batailles autour de projets d'aménagement (Appert et Drozdz, 2010; Drozdz, 2016; Dziedzicki, 2003; Lecourt, 2003; Subra, 2008), dont la contestation de la ligne TGV Méditerranée (Lolive, 1999) a constitué un moment important, avant de s'étendre à d'autres types de mobilisations tels les mouvements altermondialistes (Ripoll, 2005) ou les mouvements d'occupation (Combes et al., 2016; Dechézelles et Olive, 2017). Les enquêtes adoptant une focale géographique y restent relativement dispersées jusqu'à la fin des années 2010, où une série de numéros thématiques et d'ouvrages collectifs (Beauguitte et Severo, 2019; Melé et Neveu, 2019 notamment) abordent explicitement la question de la dimension spatiale des mobilisations collectives.
Dans ces études, on retrouve souvent un ancrage fort dans la théorie de la mobilisation des ressources et du processus politique d'une part, et dans la géographie critique (radical geography) d'autre part. Partant du constat d'une routinisation des études sur les mobilisations collectives (Aminzade et al., 2001; Combes et al., 2011), certaines enquêtes se cantonnent à spatialiser les catégories déjà bien travaillées d'opportunités politiques, de mobilisation des ressources ou de cadrage des situations (Martin, 2003). Elles identifient comment ces concepts peuvent être couplés aux catégories géographiques d'échelle (scale), d'espace (space), de lieu (place) ou de réseau (network) et déclinent cette grille d'analyse sur une variété d'études de cas, ce qui n'éloigne pas, pour autant, le risque d'une routinisation. De plus, ces recherches appréhendent souvent l'espace comme un cadre structurant les rapports sociaux et structuré par eux, imposant des contraintes et offrant des opportunités aux actions collectives, qui modifient en retour l'ordre spatial. Il me semble que cette approche de l'espace, si elle permet de mettre en lumière sa dimension heuristique pour l'action collective, surplombe souvent le champ d'expérience des acteurs et peut mener à une vision structurale et figée du social, du spatial et des liens entre les deux (Pattaroni, 2016). Une ligne de crête se dessine ainsi entre des études qui se focalisent sur le rôle de spatialités et de configurations spatiales sur l'émergence, le succès ou l'échec de mouvements contestataires, et d'autres analyses qui se concentrent sur les effets de mobilisations collectives sur les sens et les usages d'un environnement physique. Lorsque des enquêtes abordent les deux versants de cette question, elles le font souvent en séparant ce qui serait de l'ordre des «effets de lieux» de ce qui serait de l'ordre des «conséquences de l'agir».
Esquissant une autre voie, les approches écologiques, dont Chicago a constitué l'un des foyers (Park, 1921 et 1936; McKenzie, 1924), s'intéressent aux relations d'interdépendance et de co-transformation entre organismes et environnements, ou entre individus et société (Cefaï et al., 2024). C'est d'abord dans la philosophie pragmatiste que l'on trouve les prémices d'une pensée écologique du monde social, en particulier dans la psychologie sociale de George Mead et la théorie du public chez John Dewey. Dans Le public et ses problèmes par exemple, Dewey (1927/2010) part du constat que rien n'existe à l'état isolé et réfléchit aux formes d'association et d'activité conjointes qui émergent et transforment des milieux en interaction. Le public y est saisi comme une instance intermédiaire entre la société et le gouvernement, qui se constitue lorsque des transactions (Dewey et Bentley, 1949) entre des humains ou entre des humains et leurs environnements ont des conséquences indirectes importantes, et que les personnes affectées mettent en œuvre une enquête pour percevoir l'étendue de ces conséquences et imaginer des moyens pour les contrôler (Dewey, 1938/1993). Si John Dewey ne fait pas explicitement mention d'écologie dans Le public et ses problèmes, sa théorie repose sur une perspective résolument écologique, processuelle et conséquentialiste, qui place les transactions entre organismes et environnements comme un maillon central du processus social.
Les orientations écologiques du pragmatisme ont nourri plusieurs vagues de recherche. Une première, portée par Robert Park, Ernest Burgess et Roderick McKenzie, a posé les bases de ce qui deviendra l'«écologie humaine». À partir d'enquêtes empiriques menées principalement à Chicago, ces auteurs cherchent à fonder une science des relations entre les groupes sociaux et leurs environnements, en particulier urbains, en insistant sur la territorialisation des processus sociaux. À travers des méthodes cartographiques et des monographies de quartier, ils montrent comment l'organisation et la «désorganisation» sociale trouvent leurs sources et se manifestent spatialement, dans la distribution des activités et des communautés. Le tissu urbain y est saisi comme le produit et le support de transactions écologiques entre des groupes et leurs milieux, donnant lieu à des processus d'assimilation, d'accommodation, de compétition et de conflit. Une seconde vague se développe autour de Morris Janowitz, qui relance l'écologie humaine en délaissant une forme de déterminisme et d'analogie biologique qui pouvait exister chez les pionniers. Dans ses travaux sur la presse locale (Janowitz, 1952) par exemple, le journal de quartier est envisagé comme un organe communautaire, un miroir et un médiateur des dynamiques d'adaptation d'une communauté à ses multiples milieux (Cefaï et al., 2024 :241–302). Cette écologie des médiations, inspirée de Simmel, Park ou Thomas, se rapproche des développements ultérieurs qui prendront forme autour d'une écologie des mondes sociaux (Strauss, 1978, 1993), des organisations et des professions (Abbott, 1988). Une troisième orientation se dégage au tournant des années 1950 avec Erving Goffman, qui propose une écologie de l'ordre des interactions. En orientant ses enquêtes vers l'analyse des situations de co-présence et des cadres d'interaction comme réalité sui generis, il prolonge l'intérêt pour les observations in situ de transactions entre organismes et environnements en les tirant vers une analyse minutieuse de l'ordre moral qui se joue dans l'interaction (Goffman, 1971). Cette perspective prolonge les intuitions du pragmatisme en saisissant le processus social comme un enchaînement de performances situées, adressées à des auditoires et façonnées par des contextes, dans lesquelles des situations sont définies, des engagements sont déployés et des rôles sont distribués. Il contribue ainsi à mettre en forme une écologie de l'engagement en situation, attentive aux conditions concrètes de l'action collective et à ses médiations symboliques, qui a nourri pendant plusieurs décennies une science des publics attentive aux formes d'interaction dans l'espace public (Lofland, 1985; Joseph, 2007; Gamson, 2012).
Les perspectives qui mobilisent l'écologie sont donc relativement diverses, mais elles partagent la prémisse que les milieux et les organismes qui y perçoivent et y agissent forment un tout indivisible (Ingold, 2012). Elles invitent à penser les recompositions constantes entre activités et environnements, et offrent un ancrage fécond pour étudier les dynamiques sociales dans leurs contextes d'expérience à différentes échelles (Cefaï, 2024). Quelques travaux en sociologie des mobilisations s'inscrivent dans cette perspective écologique (Zhang et Zhao, 2018), notamment Dingxin Zhao (1998) qui analyse les campus de Beijing comme milieux contestataires, ou Yang Zhang (2016) dans son étude des mouvements de la place Tian'anmen. Cette orientation est également présente dans les travaux qui traduisent et diffusent l'héritage du pragmatisme nord-américain en France (Cefaï et Pasquier, 2003; Cefaï et Terzi, 2012; Cefaï, 2016; Quéré, 2024). Une série de recherches propose ainsi d'étudier des mobilisations collectives et des problèmes publics en intégrant une dimension écologique attentive aux champs d'expérience et à la manière dont les acteurs donnent sens à leurs actions (Gusfield, 1981/2009, Cefaï, 2007). Les rassemblements publics y constituent une place de choix pour observer des configurations d'interaction orientée, où s'organisent la perception, la définition et la transformation de situations, via la distribution des rôles et l'engagement dans des lignes d'actions. En replaçant les individus dans ce qui constitue leurs environnements en situation, ces approches me semblent particulièrement fécondes pour enrichir les approches spatiales des mobilisations collectives. Plutôt que de chercher un lien de causalité entre environnement et action, ou de surplomber l'espace comme un cadre structurant et structuré par le monde social, elles invitent à considérer les situations dans leur double dimension indissociable : des milieux de perception et des scènes d'action.
Je souhaite désormais montrer comment, au cours du rassemblement que j'ai pu observer, l'espace du camp met en place la situation de l'événement. Le camp est un espace sur lequel la plupart des participant⋅es se rencontrent avant et après la manifestation. C'est un champ privé, prêté par un sympathisant et équipé pour accueillir un ensemble d'activités le temps du week-end. On y trouve des parkings, des espaces de camping, des chapiteaux, des barnums, une cantine, des banderoles, des sculptures, des chantiers, des toilettes sèches, et d'autres équipements que je détaillerai. L'espace du camp oriente l'attention des participant⋅es vers la définition de la situation et vers la séquence d'actions à venir, en l'occurrence la «prise de la bassine»; il met en scène des collectifs, associations, syndicats et partis politiques qui participent à l'événement; il cadre les interactions et constitue un milieu de problématisation et de publicisation.
3.1 Les participant⋅es et la mise en place de la situation
Le rassemblement, bien sûr, ne surgit pas de nulle part. Il est enchâssé dans des séries d'événements plus ou moins étendus, qui ont eu lieu dans le passé ou sont imaginés dans le futur, et qui modèlent et expliquent l'engagement des participants (Abbott, 2025). L'émergence et la circulation de nouveaux modes d'action dans les mouvements écologistes, l'extension du maïs hybride dans le Poitou, la disparition des zones humides dans le Marais poitevin, la prise en charge des problèmes de raréfaction de l'eau en France, sont une infime part des événements qui, tissés ensemble, permettent aux participants de donner forme et sens à l'événement. Ce tressage et ces délimitations (Abbott, 1995) ne sont pas seulement les activités des individus et des groupes disponibles à ma vue, co-présents dans l'espace physique du rassemblement. Ils constituent également les activités de l'ensemble des personnes concernées par l'événement et affectées par ses conséquences : riverain⋅es, irrigant⋅es, coopératives, forces de l'ordre, journalistes, préfectures et des ministères…
Certains groupes sont étroitement arrimés à l'histoire locale du conflit. Le collectif Bassine Non Merci, par exemple, se rassemble tous les mercredis depuis cinq ans dans l'objectif de mettre un terme au projet de la Sèvre niortaise. Lorsque le nom du collectif apparaît en 2017, un maillage contestataire existe déjà autour des problèmes posés par l'irrigation intensive depuis les années 1980 dans le Marais poitevin. Une opposition aux réserves de substitution y est présente dès les premiers projets développés en Vendée, mais l'autorisation d'un nouveau projet de réserves dans les Deux-Sèvres3, malgré l'avis principalement négatif de la population recensée par l'enquête publique4, amène un groupe de personnes à se constituer en collectif. Durant les cinq années qui suivent, Bassines Non Merci s'engage avec d'autres organisations dans une série d'enquêtes en vue de définir et de faire connaître les conséquences jugées néfastes de ces infrastructures (Cazaux, 2026). Ils montrent en particulier qu'elles risquent de maintenir des pratiques agricoles jugées responsables des problèmes de sècheresse et de pollution sur le territoire – notamment la culture du maïs hybride – et craignent qu'en prélevant d'importantes quantités d'eau dans les nappes phréatiques, elles n'empêchent pas – voire accentuent – les problèmes liés à l'assèchement des zones humides et la disparition de la biodiversité. Au moment du rassemblement, le collectif a participé à de nombreux événements pour marquer son opposition : huit marches qui ont réuni entre 1500 et 7000 personnes, une occupation de quelques mois, trois auditions par autant de commissions d'enquêtes ou de cellules d'expertises interministérielles, trois réunions de médiation engagées par la préfecture, une assise citoyenne, une assemblée publique des «habitants de la Terre», plusieurs débats et interventions dans des lieux publics5.
Parmi les participant⋅es visibles sur le camp se trouvent également des associations, en particulier des associations de protection de l'environnement. Elles sont engagées depuis longtemps dans des événements localisés dans le Poitou, à l'échelle d'une commune, d'une rivière, d'un département ou du Marais poitevin, et certaines sont inclues dans des fédérations plus larges, comme la Ligue de Protection des Oiseaux ou France Nature Environnement. Elles sont impliquées dans des événements en commun avec le collectif, comme les rassemblements bisannuels, les manifestations locales et les réunions du mercredi, mais s'engagent aussi dans d'autres événements, comme les recours juridiques, avec leur temporalité particulièrement longue. Au moment du rassemblement, il y a trois recours inter-associatifs contre le projet de la Sèvre niortaise, ainsi que huit autres requêtes contre les projets de la région6. La plupart des recours sur les départements voisins se sont avérés favorables aux opposants, ce qui n'a pas empêché certains agriculteurs de poursuivre l'exploitation de réserves décrétées illégales.
En 2021, l'imminence du démarrage des chantiers, malgré les recours juridiques non aboutis, amène une partie des opposant⋅es à demander le soutien des Soulèvements de la terre (SLT). Il s'agit d'un réseau d'activistes constitué dans le sillage de la zone à défendre (ZAD) de Notre-Dame-des-Landes7. Chaque année, depuis l'abandon du projet d'aéroport, les Soulèvements de la terre programment une série de «manif-actions» dans l'objectif de soutenir des collectifs locaux contre des projets d'aménagement8. Ces événements s'étendent souvent sur un week-end, accueillent des participant⋅es de toute la France et sont l'occasion de mettre en œuvre une «diversité des tactiques» (Tonnelat, 2022), soutenant l'idée que la combinaison d'actions légales et illégales, allant du recours juridique au sabotage d'infrastructures, est rendue nécessaire et légitime pour empêcher le déploiement de projets jugés nuisibles.
À cette constellation s'ajoutent des organisations plus largement dispersées dans l'espace social mais qui, par leur implication, déterminent fortement la situation de l'événement. La Confédération paysanne par exemple, participe à de nombreux événements relativement éloignés de celui qui nous intéresse. Les élections des chambres d'agricultures en particulier, lui attribuent un nombre de sièges pour défendre les paysan⋅nes et lui confèrent une crédibilité dans des négociations avec le ministère. Elles sont donc déterminantes pour une partie de ses membres. Mais l'engagement du syndicat dans un ensemble d'événements tels que ce rassemblement contre les réserves de substitution, est susceptible de rabattre les cartes des élections, en les présentant comme les défenseurs d'une agriculture paysanne aux yeux d'un nombre potentiellement croissant d'adhérent⋅es. De nombreuses personnes du monde agricole peuvent s'indigner que tant d'argent public soit fléché vers ces infrastructures, au profit d'une minorité d'exploitations peu engagées dans des pratiques de transition écologique9. Mais le syndicat n'est pas à l'abri qu'une prise de position médiatisée et jugée trop radicale le défavorise lors d'une élection à venir. L'estimation de ces conséquences incertaines, ainsi que les règles de fonctionnement du comité national, sont à l'origine d'un décalage temporel important lors de prises de décisions, souvent reproché par d'autres organisations lors de la préparation de l'événement.
La presse est une autre de ces institutions (ou réseau d'institutions) présentes sur le camp. Des médias à l'audience régionale, nationale ou internationale ont mandaté des journalistes pour participer au rassemblement. Les événements ayant conduit à leur participation sont extrêmement divers : il y a la série de manifestations régulières contre le projet, qui n'ont cessé de rassembler un nombre croissant de participant⋅es; le rapprochement du collectif BNM avec les Soulèvements de la Terre, qui commence à intéresser un public croissant; des conversations autour de machines à café ou sur les réseaux sociaux, avec des jeunes journalistes particulièrement informé⋅es de ce qu'il allait advenir; les réunions de la rédaction, pour répartir des journalistes, distribuer des nombres de mots et des temps d'antenne; la sècheresse sévère de l'été précédent, qui a alimenté les discussions de famille et les journaux télévisés durant tout le mois d'août; ou encore absence d'autres événements majeurs dans ce week-end d'octobre.
L'État, et son feuilletage de corps techniques, d'instances et d'administrations, est un autre de ces acteurs qui participe fortement à définir la situation (Carrausse, 2022). Le ministre de l'Intérieur annonçait la veille du rassemblement le déploiement d'importants moyens policiers pour protéger les chantiers, et le ministre de l'Agriculture défendait les ouvrages quelques mois plus tôt en prétendant qu'ils se remplissaient avec de l'eau de pluie. Quelques jours avant le rassemblement, un arrêté préfectoral établit deux zones de 50 et 80 km2 autour de Sainte-Soline au sein desquelles il est interdit de circuler et de se rassembler durant le week-end.
Toutes ces organisations, et une infinité d'autres, participent donc à l'événement : elles définissent sa situation, cherchent à en orienter le cours et en subissent les conséquences. Il y a aussi beaucoup de «militants du dimanche» – comme les appellent d'autres militant⋅es – des porte-paroles de mouvements internationaux, des partis politiques, des élu⋅es, des syndicats, une foule d'auditeurs et d'auditrices, de lecteurs et de lectrices de presse ou de comptes sur les réseaux sociaux, des milliers de membres des forces de l'ordre, des chorales et des groupes affinitaires… Ces participant⋅es s'engagent dans l'événement en raison d'un horizon d'action partagé qui donne sa cohérence au rassemblement : l'objectif des manifestant⋅es de rentrer dans le chantier pour le freiner ou l'arrêter10. L'idée que des manifestant⋅es pénètrent dans l'enceinte d'une réserve de substitution existe depuis longtemps11, mais pour que cette ligne d'action s'actualise à Sainte-Soline, il a fallu anticiper et évaluer les conséquences de cette intrusion dans le chantier, puis imaginer et mettre en œuvre des moyens pour tenter de les contrôler. La construction du camp à trois kilomètres du chantier et au milieu de la «zone interdite» est un moyen de tenir la réserve à portée de sens et de main des participant⋅es, et d'accueillir le rassemblement.
3.2 Le camp comme dispositif de publicisation et de problématisation
Alors qu'aux dires des personnes en charge de l'organisation, les municipalités à proximité de Sainte-Soline ont refusé de fournir des espaces publics ou des équipements municipaux (parc, halle, salle polyvalente…), le champ mis à disposition par un sympathisant rend possible le rassemblement et sa publicisation (Terzi et Tonnelat, 2017). Lors de la conférence de presse, un porte-parole de BNM raconte :
Depuis mardi, on a réussi à organiser tout ça ! [acclamations et applaudissements de la foule] La préfecture à ce moment-là avait déclaré l'interdiction de manifester, et nous on est arrivé au cœur de la zone interdite, et on a pu monter le chapiteau ! Pourquoi ? Là je vais vous demander des acclamations même si on est dans un cadre de conférence de presse. C'est parce qu'un agriculteur, à qui appartient ce champ, qui était irrigant, qui était dans la coop' de l'eau, a décidé de changer de modèle, il s'est rendu compte que les bassines c'était pas possible, que c'était pas un modèle viable [acclamations et applaudissements qui ne semblent jamais finir]12 !
Le témoignage du propriétaire de la parcelle est exposé à plusieurs reprises. Après avoir perdu ses volumes d'eau suite à des divergences avec la coop' de l'eau sur le portage du projet de réserves, il raconte avoir converti l'ensemble de ses parcelles cultivées en cultures sèches, apportant la preuve que des membres du monde agricole local s'opposent au projet et que des exploitations céréalières ont pu faire évoluer leurs pratiques face à la diminution de la ressource en eau. Le statut de la parcelle est également mis en récit à plusieurs reprises, puisque l'exploitant y a mis en place des mesures agro-environnementales en vue de favoriser la nidification de l'outarde canepetière, une espèce protégée dont la zone de nidification s'étend jusqu'à l'emprise du chantier de bassine.
En plus de l'histoire et du statut de la parcelle qui sont mis en intrigue et médiatisés, des objets (bancs, affiches, écriteaux, tables, microphones, enceintes, estrades, toiles, impressions, banderoles, etc.) sont agencés sur le champ pour en faire le «camp» du rassemblement. Au préalable, les collectifs impliqués dans l'organisation se sont coordonnés pour réfléchir à la forme qu'ils souhaitaient donner à l'environnement du rassemblement. Ici, pas de rue ou de place (Zask, 2018) pour contenir une foule, simplement une limite parcellaire à peine visible qui entoure une vaste étendue enherbée. La manière dont ils vont arranger l'espace du champ pour accueillir le rassemblement est donc d'autant plus intéressante à observer.
Figure 1Relevé du camp de Sainte-Soline, 29 et 30 octobre 2022. Source : relevé sur place, photographies aériennes et photographies personnelles. Le chantier se trouve trois kilomètres vers l'est.
L'allée centrale, délimitée par des rubalises, sépare le parking du camping. Des banderoles sont étendues de part et d'autre. Elles cadrent déjà le rassemblement en mettant à la vue de tous⋅tes des slogans créés pour l'occasion ou issus d'anciennes manifestations. Au bout de l'allée, un barnum, ouvert sur trois côtés, est surmonté d'une pancarte «accueil». Des tables supportent des affiches et des tracts indiquant le programme de l'événement. On y trouve des projections de films, des scènes ouvertes, des concerts, des balades archéologiques et naturalistes, une assemblée des luttes sur l'eau, une table ronde sur le partage de l'eau, une assemblée générale et la manifestation. Derrière le bar d'accueil se tiennent des bénévoles chargé⋅es de répondre aux questions des nouveaux arrivant⋅es et de leur donner les informations jugées essentielles, notamment sur les services juridiques mis en place pour le suivi d'éventuelles gardes à vue. Après cette étape, une activité commune consiste à faire le tour du camp pour en découvrir les différents espaces.
La sortie du parking est le premier endroit où se croisent les journalistes qui arrivent sur le camp et les militant⋅es. Il offre une vue d'ensemble du camp tout en étant proche des flux de personnes qui s'y croisent, et devient une scène privilégiée pour les journalistes qui s'y plantent pour synthétiser ce qui a été vu et entendu sur le camp ou lors de la manifestation. Les prises de parole en direct des journalistes se font souvent devant quelques personnes militantes attentives qui se tiennent derrière la caméra. Une fois la caméra éteinte, il arrive qu'un débat émerge lorsque le cadrage de l'événement par le journaliste est trop éloigné de l'expérience qu'en font les miliant⋅es.
Autour d'un chapiteau central, des barnums plus ou moins ouverts jouent des rôles spécifiques. Une infirmerie abrite un «brief juridique» sur les risques encourus au moment de l'action et sur les bonnes pratiques à suivre en cas d'arrestation. Une cantine, végétarienne et à prix libre, abrite des personnes bénévoles régulièrement invitées à participer aux phases de préparation, de vente et de nettoyage. Deux bars sont situés à proximité du chapiteau, qui abrite des concerts à la tombée de la nuit. Un barnum fermé devient un lieu de réunions pour discuter des dernières orientations stratégiques de la manifestation. Un stand des associations comprend des tables autour desquelles des collectifs peuvent faire connaître leur histoire et les causes qui les occupent. Ce stand rend visible une partie des alliances qui se tissent dans le mouvement contre les mégabassines. Une «tente de soin», formée d'une toile ronde supportée par des poteaux de bois sur un tapis de moquettes récupérées, est chargée de mettre en relation des personnes victimes ou témoins de violences sexistes ou sexuelles durant le rassemblement avec des bénévoles formé⋅es à réagir à ces situations, vêtu⋅es de guirlandes lumineuses pour être repéré⋅es le soir sur l'ensemble du camp en cas de besoin.
De tels équipements permettent d'incarner dans le rassemblement-même des valeurs défendues par les collectifs organisateurs et de donner forme à une microsociété qui expérimente des alternatives à une variété de problèmes identifiés. La «tente de soin» ou la cantine végétarienne à prix libre en sont de bons exemples. Ils ont non seulement un rôle pratique à jouer dans le rassemblement – celui de nourrir les participant⋅es ou de veiller à leur bonne conduite –, mais ils incarnent et diffusent aussi des normativités et des perspectives d'actions, comme la nécessité de prendre en charge les violences sexistes et sexuelles qui peuvent advenir dans un rassemblement, ou de développer le végétarisme dans les milieux militants pour l'étendre vers d'autres milieux. D'autres expérimentations, comme la legal team13 ou les medics14, sont en partie héritées d'autres mobilisations, mais elles font l'objet d'adaptations et d'innovations avant, durant et à la suite du rassemblement, pour mieux anticiper certaines conséquences de l'action et en limiter les conséquences négatives (répression judiciaire, répression policière, cadrages médiatiques).
Au centre du camp, un chapiteau surplombe la foule. C'est le lieu où convergent quasiment la totalité des personnes présentes pour trois occasions : une conférence de presse, une assemblée générale et une table ronde sur l'eau. Ces moments sont annoncés par mégaphone ou spécifiés sur le programme. À chacune de ces rencontres correspondent des arrangements écologiques singuliers, disposant en lignes successives, en cercles concentriques ou en demi-cercles des auditoires et des orateurs⋅trices. C'est au milieu de ces performances qu'est mise en forme, en sens et en scène la situation problématique qui les rassemble. Certaines prises de parole sont préparées en amont : une personne anime, synthétise et fait le lien entre chaque prise de parole, mais le public réagit aussi, il hue, rie, répète des slogans ou invective les orateurs⋅rice qui font trop usage d'un jargon institutionnel. Dans ces performances, les participant⋅es identifient des liens de conséquence entre des événements et composent une trame de connaissance et de concernement15 partagés qui organise le champ d'expérience du rassemblement (Schütz, 1946/1964), avec ses foyers d'attention publique, ses horizons et ses marges (Cefaï, 2019 :52–54). Au fil des échanges sous le chapiteau, le public et les problèmes qui le rassemblent débordent du cas de la réserve de Sainte-Soline. Il s'étend à une variété de territoires et d'expériences, dans lesquels des indices sont trouvés pour découvrir une trame de problèmes sous-jacents et identifier des intérêts communs.
Pour donner à voir cette écologie de l'attention publique qui se compose dans le rassemblement, et visualiser l'architecture d'engagements situationnels qui s'y déploient, j'ai parcouru la retranscription des trois assemblées sous le chapiteau, pour n'en retenir que les principaux événements, personnages, organisations et lieux mentionnés (voir Fig. 2, page 10). Lorsqu'elles sont évoquées, ces entités sont associées les unes aux autres dans un ordre particulier, qui donne un sens à l'événement, compose des fins-en-vue partagées et soulève des lignes d'actions collectives. Certaines sont extrêmement détaillées et mentionnées à plusieurs reprises. Elles sont situées dans l'environnement immédiat du rassemblement ou, pour les plus lointaines, font l'objet de récits d'expériences précises rapportées sous le chapiteau; leur mise en partage compose une région de connaissance et de pertinence sur laquelle les participants semblent avoir partiellement prise. D'autres entités sont simplement évoquées et mises en lien avec les réserves de substitution, mais sont peu détaillées et peu atteignables pour les participants. Elles dessinent des pistes d'enquêtes à mener. Pour montrer à quel point ces entités débordent dans l'espace et dans le temps, j'ai repéré l'échelle spatiale et la temporalité auxquelles elles se réfèrent lorsqu'elles sont mentionnées.
Figure 2Topographie de la pertinence et du concernement du rassemblement de Sainte-Soline, octobre 2022. Source : retranscription des trois assemblées ayant eu lieu sous le chapiteau. Exemple de lecture : l'étude Hydrologie, Milieux, Usages, Climat (HMUC) est un élément qui a été détaillé en public à plusieurs reprises. Les participants en ont une perception sensible et potentiellement tangible. Lorsqu'elle est évoquée, cette étude fait référence géographiquement au Marais poitevin, et temporellement semble mobilisable à partir de l'année suivante.
Ce schéma illustre la topographie de la pertinence qui se fait publique lors du rassemblement (Schütz, 1946/1964 :120–134). Il est approximatif et certaines entités mentionnées ont dû être retirées par souci de clarté, mais il montre néanmoins comment des milieux particuliers, des organisations, des personnages, des événements et des outils sont mis en lien dans les trois moments que sont la conférence de presse, la table ronde et l'assemblée sous le chapiteau. Au fil des échanges, ces repères et ces liens tissent pour les orateurs⋅rices comme pour les auditeurs⋅rices attentif⋅ves une appréhension commune de la situation problématique, à partir de laquelle iels peuvent faire émerger de nouvelles fins-en-vue et de nouveaux moyens d'action, identifier des régions sur lesquelles avoir prise et des fossés d'ignorance qui dessinent des lignes d'enquêtes à venir. Les personnes participantes viennent de toute la France, et relient ce qui se passe ici à ce qui se trame chez elles. Certaines comparent des dysfonctionnements institutionnels évoqués par des collectifs locaux à des entraves qu'elles ont pu expérimenter, d'autres verbalisent leur expérience du rassemblement et la lient à des mobilisations passées ou futures. Tout cela participe à sédimenter, temporairement, le sens de l'expérience collective et publique que compose l'événement, et en délimite les territoires de pertinence (Ingold, 2015). Un «front diffus de résistance», terme employé durant l'une des assemblées, se tisse entre des territoires éloignés mais traversés par des dynamiques identifiées comme similaires, dans lesquels les personnes participantes se trouvent prises et sur lesquels elles veulent avoir prise. Le développement du maïs hybride, le contentieux européen, la disparition des zones humides, les rapports du GIEC, l'extension du port de La Pallice, la disparition des moules dans l'estuaire, ou les enquêtes sur le réseau amont de la Vienne sont autant d'événements mentionnés lors des assemblées et reliés à la situation présente. Bien sûr, la situation en tant que telle ne se réduit pas à la définition donnée par les milliers de participant⋅es présent⋅es sous le chapiteau, et mobilise également une foule d'autres participant⋅es, comme la police ou les ministères, qui en proposent des définitions très différentes. Mais pour celles et ceux qui sont rassemblés sur le camp, la réserve de substitution devient alors un levier pour définir et agir sur de nombreux problèmes : le manque de démocratie dans le partage de l'eau, la disparition du monde paysan au profit de l'agro-industrie, les effets sanitaires de l'alimentation, le dépeuplement des campagnes, la raréfaction des ressources en eau, ou encore l'effondrement de la biodiversité. Toutes les performances et les équipements du camp modifient les conditions de la situation et rendent l'occurrence de ce qui sera nommé la «prise de la bassine» de plus en plus certaine.
Si Sainte-Soline constitue un lieu à partir duquel un ensemble de problèmes liés à l'aménagement des réserves de substitution deviennent publics, ce n'est pas simplement par la prolifération de scènes qui se déploient sur le camp et qui permettent à un public de prendre forme autour de problèmes partagés. Ce public, pour devenir politiquement opératoire (Cefaï et Trom, 2001; Barril et al., 2003), déploie également des prises cognitives et pratiques sur la situation perçue comme problématique dont l'événement de la «prise de la bassine» constitue un bon exemple.
4.1 Une prise cognitive et pratique sur l'infrastructure contestée
Je souhaite montrer ici comment la manifestation, dont l'aboutissement a été pour une partie des manifestant⋅es de pénétrer sur le chantier, a pu constituer une prise collective sur le territoire et sur la situation problématique. Deux dimensions entourent le geste de la prise : une dimension cognitive (correspondant ici à l'appréhension sensible d'une infrastructure et de ses effets sur son environnement) et une dimension pratique (empêcher ou gripper la poursuite des travaux en impactant matériellement l'infrastructure). Le concept de prise est alors entendu dans son acception pragmatique, élaborée par Bessy et Chateauraynaud (1995/2014). Cette notion a d'abord désigné les opérations pratiques qui permettent d'identifier, de qualifier, d'évaluer un objet, comme lorsqu'un⋅e commissaire-priseur prend un objet pour en donner le prix, avant d'être employée pour décrire, en relation avec des études sur le pouvoir, une expérience processuelle et générative destinée à établir une emprise sur un sujet donné. En ce sens, une prise n'est telle que parce qu'elle permet d'avoir prise sur autre chose, chaque prise engendrant des prises dérivées (Chateauraynaud et Debaz, 2017 :607–608). En somme et en un sens davantage écologique, une prise désigne une série de liaisons entre perception et action, repérées et employées pour qualifier et agir sur une situation (Bessy et Chateatraynnaud, 2010). Chaque prise est alors discernée et manipulée pour rétablir une liaison entre endurer les conséquences d'un milieu et orienter sa conduite pour transformer des conditions d'existence.
Le rassemblement de Sainte-Soline a lieu un mois après le démarrage des travaux, au lieu-dit des Terres rouges. Au lancement de la manifestation, un plateau fourrager sert d'estrade pour des prises de paroles devant les trois cortèges. Une jeune militante caractérise ainsi la réserve de substitution :
En ce qui concerne la pieuvre des Terres rouges, c'est le petit nom qu'on lui donne, c'est 700 000 m3 d'eau pompée chaque année, une emprise de 16 ha, et 18 km de tuyaux. C'est pour ça qu'on l'appelle la pieuvre, c'est qu'elle a des bras un peu dans tous les sens […]. Dans les espaces où on se trouve, hier, c'était des bocages. Ils ont supprimé les haies, les talus, les mares, et les paysans. Aujourd'hui, ce sont des plaines, et ils suppriment l'eau des plaines, des nappes et des rivières. Et la terre sans eau, c'est le désert. Et l'enjeu aujourd'hui, c'est de dire que, voilà… on veut pas le désert16…
Avant ce rassemblement, peu de personnes savaient ce qu'était une réserve de substitution et le terme «mégabassine» n'avait pas encore émergé publiquement pour la qualifier. Elles étaient souvent confondues à tort dans la presse avec des retenues collinaires, des représentant⋅es politiques affirmant ou laissant entendre publiquement qu'elles se remplissaient, au moins en partie, par le ruissellement d'eau de pluie. Le qualificatif de pieuvre permet ici de signifier à la fois le gigantisme de l'infrastructure, que l'on retrouve dans le terme de mégabassine, et la présence de nombreux tuyaux souterrains, qui relient la réserve à des points de forage et de distribution et attestent qu'elle se remplit avec l'eau de la nappe. De plus, la militante attribue déjà un ensemble de conséquences à l'arrivée de l'infrastructure, sur son environnement proche, sur la nappe souterraine et sur le grand paysage du Poitou, en pointant du doigt l'environnement du camp. Elle met en exergue une chaîne de conséquences particulière que l'on retrouve formulée à plusieurs reprises dans le rassemblement : lorsqu'une réserve de substitution est implantée sur le territoire, elle perturbe les écoulements souterrains en freinant la recharge hivernale et en assurant le prélèvement de volumes hérités du passé qu'il serait aujourd'hui impossible de prélever en période d'étiage. Une deuxième militante raconte sur la plateforme :
Ici, en mai, vont arriver des outardes canepetières du sud de la France. Elles gratteront le sol sur lequel on est, pour faire des petits trous et faire leur nid. Là-bas, depuis quatre semaines, une dizaine de tractopelles qui grattent la terre, ont arraché la terre végétale et veulent continuer encore sur une dizaine de mètres pour faire un très gros trou, une bassine. Mais on est trop nombreux à préférer penser comme les outardes, donc il n'y aura pas une bassine de plus. Car contrairement aux outardes, nous, on a des bras et des mains17.
Les recours juridiques portés par des associations depuis 2017, les manifestations régulières et les tribunes politiques n'ont pas empêché les projets de suivre leur cours. Dans ce contexte, lacérer au cutter la bâche plastique d'une réserve ou sectionner puis déterrer un morceau de tuyau apparaît comme le dernier recours possible pour une part grandissante des militant⋅es. Mais, au-delà de ces aspects matériels, ces gestes mettent en lumière la nature de l'infrastructure, qui n'est ni plus ni moins qu'une grande bâche plastique entourée de tuyaux enterrés.
4.2 De prise en prise : éprouver les capacités pratiques du public
Pour atteindre le chantier, trois cortèges sont formés. Celles et ceux qui connaissent les itinéraires, aidés d'une batucada et de porte-voix, orientent les cortèges vers le chantier, pendant que les 1700 gendarmes se déploient le long des haies et des routes. Six hélicoptères traversent le ciel. L'environnement entre le camp et la bassine, fait de lignes à traverser, de fossés à enjamber, de brèches à distinguer, de routes à tenir, devient une succession de prises potentielles pour transformer la situation. Par le fruit du hasard, je me retrouve dans le cortège rouge. Je propose de restituer quelques passages de mon carnet de terrain qui relatent la séquence d'actions ayant mené à la prise.
De part et d'autre du cortège, des centaines de militants habillés de bleu de travail, masqués et protégés par des lunettes de plongée, courent vers l'avant en ramassant des cailloux, qui abondent sur le champ labouré […]. Je vois à l'horizon, derrière un grand champ, la prochaine haie bocagère à passer. Au loin, des gendarmes accourent pour bloquer la haie. Des camions s'approchent sur la droite. J'entends : «Courez, courez !». Nous enjambons un fossé agricole profond de plus de deux mètres, creusé pour drainer l'eau. La deuxième ligne est traversée et l'horizon se dégage. J'entends au mégaphone : «Il faut viser le silo ! La bassine est par là-bas», chacun répète l'information en criant.18
L'espace devient le terrain d'une action dramatique, le lieu d'un corps-à-corps où le sens du vent, le relief du sol et la durée des mouvements jouent un rôle important. Les participant⋅es ajustent leurs actions au déplacement des forces de l'ordre, des saillances dans le paysage sont repérées et verbalisées pour orienter la foule vers l'ouvrage contesté. Le cortège finit par arriver sur l'un des côtés de la réserve, clôturé d'un grillage de deux kilomètres. Nous longeons le flanc du chantier, protégé par une rangée de CRS, avant d'arriver à un angle.
Derrière la haie, nous discernons des grillages. Des gens s'exclament : «C'est la bassine, c'est la bassine […] !». J'entends derrière moi : «Il faut prendre la route !» Des centaines de militants s'élancent à travers la haie bocagère pour prendre la route. Plusieurs cailloux sont posés en tas sur le bitume face à l'extrémité du cordon de gendarmes et de policiers. Dans cette position, il n'y a qu'une dizaine d'entre eux qui peuvent affronter les militants. Un bouclier en bois et des panneaux métalliques sont amenés pour tenir la position pendant que la foule traverse la route. De ce côté de la bassine, il n'y a pas encore de gendarmes. Deux hélicoptères se rapprochent à toute allure. Ils déposent une dizaine de CRS et repartent aussi vite. Derrière le grillage, on discerne une digue de terre de 4 mètres de haut. Des gaz sont lancés, mais le vent est favorable aux manifestants. «C'est maintenant qu'il faut y aller !» Des militants se jettent sur la grille qui cède sous leur poids. Avec la foule, je monte sur la digue. Au-delà, le chantier de la bassine s'étend à perte de vue. C'est une étendue de cailloux tassés encerclée par une digue de terre. Une centaine de militants dansent. Les forces de l'ordre montent de part et d'autre sur la digue. Les gaz lacrymogènes et les grenades pleuvent. Je recule et descends la digue. Je sens le souffle d'une grenade exploser sous mon pied. Je n'entends plus de l'oreille droite. Le gaz m'étouffe et je n'arrive plus à ouvrir les yeux. Je tente de m'éloigner en me recroquevillant.19
À l'approche du chantier, les manifestant⋅es se mesurent à l'étendue de la mégabassine et à l'ampleur du dispositif policier déployé pour la protéger. L'expérience du trouble culmine lorsque l'un des cortèges pénètre sur le chantier, découvrant, sous une pluie de grenades lacrymogènes et de désencerclement, l'immense cratère.
Figure 3Photographie intitulée et diffusée en ligne par Les Soulèvements de la Terre et Bassines Non Merci le 29 octobre 2022. © Les Soulèvements de la Terre.
La prise est une mise à l'épreuve des compétences pratiques du public, de sa capacité à agir sur une situation problématique. C'est l'acquisition d'un art de manifester (McPhail et Miller, 1973) qui s'apprend là, avec son lot d'expérimentations et de conséquences imprévues. Les personnes participantes apprennent, non sans certaines hésitations, à s'orienter et à se mouvoir dans cet environnement de fossés, de haies, de gendarmes et de grenades. Elles acquièrent des gestes particuliers qui s'incarnent dans le saisissement d'un caillou ou dans la désignation de la localisation d'un⋅e blessé⋅e. Elles rient, huent, entendent ou répètent des chansons qui racontent des avancées sociales permises par la radicalité de certaines actions. Elles scandent des slogans, crient des mots clefs, convenus à l'avance ou qu'elles découvrent sur le tas. Elles manipulent des instruments de musique, des bannières, des parapluies, des boucliers, des drapeaux ou des barricades. Elles forment des lignes étendues pour contourner les gendarmes ou des petits groupes mobiles pour y créer des passages. C'est un système d'activités conjointes (Hughes, 1997) qui se met en place pour «prendre une bassine», sectionner une canalisation ou incendier un forage, dans lequel chacun⋅e s'engage selon les risques qu'iel est prêt⋅e à prendre, son niveau de préparation ou ses compétences. S'il n'est pas possible en toutes circonstances de reculer et d'abandonner le rôle que l'on s'est promis de tenir (s'éloigner du cortège comporte un risque certain), il est toujours possible de garder une distance à l'action principale tout en s'impliquant dans des activités latérales (Goffman, 1963/2013 :215–221). Une personne se masque, une autre tient le parapluie pour la dissimuler, d'autres filment ou photographient, certains se tiennent au loin pour faire masse et commenter d'un air amusé, levant le poing, applaudissant ou scandant «No bassaran». L'usage de l'ironie, de l'humour, du jeu et du sous-entendu participe à constituer un accord tacite des personnes participantes aux actions qui sont faites à l'avant, au cœur ou en marge du rassemblement. C'est une écologie particulière qui se déploie et s'expérimente ici : elle participe à faire évoluer des conventions morales sur les gestes à tenir lorsque des prises conventionnelles ne semblent plus avoir d'effet sur une situation problématique et à partager des compétences pratiques pour influer sur le cours des choses lorsque la répression d'un mouvement semble l'en distancier.
4.3 Le débordement des conséquences
Au lendemain de la manifestation, les participant⋅es découvrent que le public qui s'est constitué autour des problèmes posés par les réserves de substitution a largement débordé de Sainte-Soline. L'événement a fait l'ouverture des principaux journaux télévisés, et de nombreuses personnes représentant des institutions ou des partis politiques se sont exprimées publiquement sur l'affaire, multipliant les recadrages et les reformulations du problème et de son expérience. Le geste de la prise, qui se poursuivra le lendemain par la section d'un tuyau, devient un opérateur de problématisation et de publicisation. Au-delà de ses conséquences pratiques sur le chantier (arrêt d'une semaine, augmentation du coût de l'assurance), il rend sensible et tangible ce qu'est une réserve de substitution, consolide et amplifie une communauté de personnes concernées par le trouble, illustre et incarne une situation conflictuelle depuis laquelle se déploie une pluralité de thèmes d'indignation : de l'assèchement des cours d'eau aux pratiques agricoles de certain⋅es irrigant⋅es, de la montée en radicalité des mouvements écologistes à l'intensification de leur répression. À partir de la survenue de la prise, un flux de conséquences se propage dans toutes les directions, rendant impossible toute tentative d'énumérer les événements qui se seraient déroulés différemment si elle n'avait pas eu lieu. On peut cependant se limiter à explorer quelques-unes de ces conséquences pour comprendre le tournant constitué par cet événement.
De premières conséquences concernent la transformation des individus et des groupes qui ont participé directement à l'événement au moment de son occurrence. Les personnes ayant fait l'expérience directe de la «prise» en gardent un souvenir durable, susceptible d'alimenter de futurs engagements. D'autres, blessées ou témoins de blessures, commencent à réévaluer leurs propres engagements. De nouveaux groupes, créés à l'occasion du rassemblement, peuvent prendre un nom pour accroître leur visibilité ou leur efficacité dans de prochains rassemblements. Par exemple, le nom de «base soin» désignera rapidement l'ensemble des expérimentations focalisées sur la réduction des risques liés à l'action pour les prochains rassemblements. L'évaluation des conséquences de l'événement par des groupes présents ou absents peut également les amener à réévaluer autrement des lignes d'actions dans lesquels ils étaient engagés, et à trouver de nouveaux moyens d'action. Par exemple, de nombreuses organisations de protection de l'environnement vont se concentrer sur les enjeux de gestion quantitative de l'eau, tandis que des fédérations historiquement attachées au légalisme vont commencer à intégrer l'idée de «diversité des tactiques» et chercher à se présenter comme complémentaire aux Soulèvements de la Terre, peut-être par crainte d'être marginalisées. Une fédération historique d'associations pour la protection du Marais, dont le bureau espérait encore un compromis entre associations et irrigant⋅es, réalisera bientôt que l'événement de Sainte-Soline risque de compromettre une telle entente : les associations restantes quitteront rapidement la fédération historique pour s'aligner sur d'autres propositions, isolant progressivement la fédération dans ces nouvelles conditions. La perception et l'évaluation des conséquences de l'événement va également conduire des participant⋅es à diffuser d'autres interprétations de l'événement, centrées sur la violence des manifestant⋅es et les atteintes à la propriété privée. Le ministère de l'Intérieur, incapable d'empêcher l'intrusion, qualifiera bientôt les militant⋅es ayant organisé ou participé à l'événement d'«écoterroristes».
D'autres conséquences concernent la capacité de l'événement à restreindre ou permettre de nouveaux cours d'action, pour un grand nombre d'organisations. Après l'événement, le nom de «mégabassine», forgé par les opposant⋅es, est adopté par tous les médias nationaux pour désigner ces infrastructures, et des schémas sont diffusés pour en expliquer le fonctionnement. Dans ce contexte, il devient impossible, pour les porteurs de projet comme pour le gouvernement, d'affirmer qu'elles se remplissent avec l'eau de pluie : une telle déclaration serait interprétée comme un mensonge plutôt qu'une imprécision, et immédiatement contredite. Avec l'augmentation de la visibilité publique de ces infrastructures et de leurs conséquences potentielles, de nouvelles enquêtes sont lancées dans toute la France, et d'autres collectifs BNM émergent dans chaque département où de tels projets figurent dans les dossiers préfectoraux. La coordination entre les SLT, BNM et la Confédération paysanne s'en trouve considérablement renforcée aux yeux de celles et ceux qui évaluent positivement les conséquences de l'événement. Mais, dans les cercles militants, des critiques sur les modes de décision émergent ou deviennent de plus en plus saillantes. Six mois après l'événement, une nouvelle coordination d'organisations tentera de reproduire l'événement de la prise de la bassine à Sainte-Soline. Elles apprendront à leurs dépens qu'un événement ne peut être reproduit à l'identique, car ses conditions changent radicalement. En particulier, le ministère de l'Intérieur expérimentera une nouvelle technique pour empêcher l'intrusion des manifestant⋅es, nommée la technique du fortin, qui entraînera un grand nombre de blessures graves, modifiant radicalement l'interprétation de l'événement, la perception des collectifs impliqués et leurs lignes d'actions.
Enfin, une cascade de conséquences indirectes s'étend vers des groupes et des événements éloignés du rassemblement via la transformation d'environnements partagés (médiatiques, juridiques, symboliques, etc.). Par exemple, l'intrusion des manifestant⋅es sur le chantier a entraîné une forte couverture médiatique des enjeux liés aux mégabassines. Cette effervescence a pu ouvrir ou fermer des possibilités d'action pour d'autres groupes dont les événements n'ont pas été couverts. Dans ces conditions, prendre position sur les mégabassines a pu devenir un moyen de gagner en visibilité, d'accélérer une carrière politique, ou de répondre à des préoccupations personnelles, comme interroger le rôle que l'Église peut jouer dans la crise climatique. Chacune de ces prises de position a contribué à élargir encore les conséquences de l'événement, en diffusant l'usage du mot «mégabassine». Les juges ont commencé à l'utiliser lors des audiences, tout comme des représentant⋅es politiques pourtant favorables au projet. Dans ce nouveau contexte, les indicateurs du site du Petit Robert détectent rapidement que le mot « mégabassine» est fréquemment recherché par les utilisateurs⋅rices, sans résultat. La suite de caractère rentre dans la base de données des requêtes sans correspondance, avant que des lexicographes, lors d'une réunion éditoriale, décident de l'ajouter au dictionnaire.
Dans cet article, je souhaitais orienter la géographie de l'action collective vers une perspective écologique attentive à l'expérience d'un rassemblement public, inspirée du pragmatisme nord-américain et de l'écologie humaine de Chicago. L'objectif était de comprendre comment un rassemblement permet à une expérience publique d'avoir lieu, aux participant⋅es de la définir et aux manifestant⋅es de s'engager dans des lignes d'actions en vue de modifier le cours d'une situation problématique. Pour ce faire, j'ai borné ma description au temps et à l'espace d'un rassemblement public, en estimant que cette unité constituait, en tant que telle, un objet d'étude suffisamment dense pour en tirer quelques enseignements sur l'organisation de l'action collective et l'émergence de problèmes publics. Mais, au-delà d'un simple objet d'étude à examiner en extériorité ou a posteriori, j'ai montré qu'un tel rassemblement constituait, à bien y regarder, un milieu de problématisation et de publicisation pour les personnes participantes elles-mêmes, avec son lot d'apprentissages et d'expérimentations, d'émergence de formes et de sédimentation de sens, d'épreuves et de catégorisations.
Le temps d'un week-end, l'espace d'un champ est devenu le creuset d'une expérience collective qui s'est faite publique. S'y sont mêlés des journalistes et des personnes militantes, des parlementaires et des responsables syndicaux, des personnes du monde agricole et des écologistes, des représentant⋅es d'associations et des attaché⋅es parlementaires, des naturalistes et des sociologues. Les arrangements écologiques du champ en ont fait un dispositif (Dodier et Barbot, 2016) orienté vers le geste de la prise, qui a condensé l'attention des participant⋅es autour de problèmes tout en la diffractant vers une pluralité d'auditoires. La description de ces scènes de problématisation et de publicisation, qui ont pris forme en partie sous le chapiteau, nous a permis de saisir les liens que les participant⋅es font entre le rassemblement et des événements passés ou à venir. Au-delà de l'espace et du temps du rassemblement, leurs activités cognitives et pratiques s'étirent ainsi vers une multitude d'autres organismes, environnements et événements, situés bien au-delà de ce qui se trouve immédiatement à portée de leur sens et de leur main. Ces liens permettent d'organiser le champ d'expérience du rassemblement et donnent forme à une écologie particulière de l'attention publique, orientée vers la définition des conséquences des réserves de substitution et vers l'engagement dans des lignes d'actions.
L'activité des participant⋅es ne se réduit pas à délibérer, définir ou catégoriser. Pour devenir politiquement opératoires, iels repèrent et emploient une série de prises, cognitives et pratiques, afin de transformer le cours d'une situation (Bessy et Chateauraynaud, 2014). Activer ces prises n'est pas donné à l'avance, à la manière d'une recette ou d'une partition qu'il suffirait de reproduire. Cela nécessite la mise en place d'une variété de dispositifs, comme le camp, qui rendent l'occurrence de la prise de plus en plus certaine, ainsi que des ajustements situés, continus et réciproques, à l'aune desquelles de nouvelles interprétations et de nouvelles lignes d'actions peuvent apparaître. La description de la «prise de la bassine» comme opérateur de problématisation et de publicisation constitue un bon exemple de cette mise à l'épreuve de l'opérationnalité du public. J'ai montré comment un système d'actions situées (Goffman, 1963/2013), qui se décompose en une variété de gestes et de formes d'engagements, se met en place pour «prendre» le chantier. Les personnes participantes, dans l'espoir d'avoir prise sur la situation identifiée comme problématique et d'étendre leur zone de manipulation, apprennent à se mouvoir dans un environnement composé de champs, de haies, de fossés, de lignes de gendarmes et de grilles, elles discernent et emploient une succession de prises qui composent l'expérience collective et publique d'une situation problématique et étendent l'horizon de sa résolution (Cefaï, 2019). L'environnement sur lequel elles veulent avoir prise ne se borne pas au milieu immédiat, c'est-à-dire au lieu et au temps du rassemblement. Il déborde sur d'autres lieux et événements que les manifestant⋅es identifient comme pertinents et dont iels caractérisent le faisceau de liens qui les relie. Enfin, nous avons vu que l'événement ne se clôt pas avec la dispersion des corps. Les flux de conséquences qui ont émergé de la prise et de sa médiatisation, plus ou moins anticipés et contrôlés, réorientent des trajectoires biographiques, modifient des cours d'actions et altèrent des manières de faire. Ils transforment des significations et des cadrages médiatiques, reconfigurent des alliances et des organisations, rendent pensables de nouveaux futurs et infléchissent des institutions.
Les données issues de cette recherche ne sont pas accessibles publiquement en raison du caractère confidentiel des matériaux ethnographiques recueillis.
L'auteur déclare qu'il n'y a aucun conflit d'intérêts.
Publisher’s note : Copernicus Publications remains neutral with regard to jurisdictional claims made in the text, published maps, institutional affiliations, or any other geographical representation in this paper. While Copernicus Publications makes every effort to include appropriate place names, the final responsibility lies with the authors. Views expressed in the text are those of the authors and do not necessarily reflect the views of the publisher.
Je remercie Claire Aragau et Caroline Rozenholc pour leurs conseils et relectures attentives, ainsi que Daniel Cefaï et les deux relecteurs anonymes. Je remercie également Andrew Abbott, dont le séminaire The Social Process m'a été d'une grande aide au moment de la réécriture de l'article, pour resituer la description de l'événement dans un maillage plus large d'événements.
Cet article a été édité par Laura Péaud et évalué par deux expert⋅e⋅s dans le cadre d'une double évaluation à l'aveugle.
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Terme inventé par les opposants aux projets de réserves de substitution dans l'objectif de mieux signifier la matérialité et la dimension de l'infrastructure.
Pour une lecture plus «grand angle» de la mobilisation, qui suit l'écologie des enquêtes menées par les collectifs contestataires depuis les années 1980, voir : Romain Cazaux, « ‹Bassines Non Merci !› Écologie des enquêtes menées sur les eaux poitevines», manuscrit en cours de publication, Pragmata, 2026.
Le projet des Deux-Sèvres, porté par la coop' de l'eau, prévoit la création de dix-neuf (puis seize) retenues de substitution, de 5 à 16 hectares chacune, pour un volume total d'eau prélevée d'environ huit (puis six) millions de mètres cubes. Le projet est financé à 70 % par des fonds publics, et bénéficierait à 197 exploitations agricoles selon le maître d'ouvrage, soit la moitié des irrigants du territoire – et 5 % des agriculteurs.
Christian Lambertin (prés.), Enquête publique au sujet de la création de 19 réserves de substitution sur le bassin de la Sèvre niortaise et du Marais poitevin. Rapport de la commission d'enquête, 2017.
Bassines non merci, Historique de la lutte, document en ligne, https://bassinesnonmerci.fr/index.php/historique-de-la-lutte (la date du dernier accès : 15 avril 2024).
Trois recours interassociatifs contre les arrêtés préfectoraux autorisant la construction et l'exploitation de 19 puis 16 réserves de substitution, un recours contre le financement du projet par la région sur des fonds FEADER porté par des élus régionaux Europe Écologie les Verts, un recours contre le contrat territorial de gestion quantitative arrêtant les règles de définition des débits et des volumes, et un recours contre le financement du projet par l'agence de l'eau Loire-Bretagne porté par trois organisations et 43 personnes à titre individuel.
La ZAD de Notre-Dame-des-Landes désigne l'occupation d'un territoire voué à un projet d'aéroport près de Nantes. À partir de 2009, des militants écologistes, altermondialistes et paysans s'y installent et expérimentent des formes de vie collective et d'autonomie politique pour empêcher la réalisation du projet. La ZAD devient un symbole national des luttes contre les grands projets d'aménagement jugés inutiles et imposés (GPII) (Pailloux, 2015).
Les soulèvements de la terre, Appel des soulèvements de la terre, billet de blog, 2021, https://www.terrestres.org/2021/03/11/soulevements-de-la-terre/ (la date du dernier accès : 15 avril 2024).
Voir par exemple l'étude financée par l'agence de l'eau Loire-Bretagne à ce propos : Écodécision, CTGQ Sèvre Niortaise Mignon (2019-mi 2022). Bilan des engagements individuels et collectifs du protocole d'accord pour une agriculture durable dans les Deux-Sèvres, 2023.
Si la «prise» et le sabotage de l'infrastructure sont souvent formulés conjointement par les militants ou les journalistes, ces deux types d'action sont à distinguer. Certaines «prises» – ou intrusion d'un cortège en public – n'entraînent aucune détérioration du matériel, d'autres peuvent être suivies par des actions de sabotage qui ont lieu à la marge de la réserve (destruction d'une portion de canalisation ou d'une pompe), d'autres, enfin, sont accompagnées d'une action de «débâchage», c'est-à-dire de la lacération au cutter de la membrane qui imperméabilise la réserve. Réciproquement, la plupart des réserves de substitution ayant subi des actions de sabotage entre septembre 2021 et octobre 2022 l'ont été sans aucun rassemblement public et donc sans «prise».
Les opposants aux projets ont rapidement cherché à rendre visible l'ampleur et la matérialité de ces infrastructures. Aussi, rentrer dans les premières réserves construites dans les départements voisins s'est imposé comme un moyen évident. Dès 2008, une grande banderole «SOS EAU VOLEUR$» est filmée en drone sur le flanc d'une bassine dans la Vienne. Un autre ouvrage, dont le sol s'est affaissé sous le poids de l'eau, est abandonné et sert souvent de décor à des conférences de presse. Quelques mois plus tôt, un cortège de manifestants est également entré dans la réserve de Mauzé-sur-le-Mignon, la première du projet des Deux-Sèvres, en lacérant sa bâche au cutter.
Notes de terrain du samedi 29 octobre 2022, Sainte-Soline.
Legal team : groupe de volontaires, souvent avocats ou juristes, formés pour défendre les droits des activistes et prendre en charge les risques juridiques liées à la participation à une manifestation.
Medics : groupe de volontaires formés pour prendre en charge les manifestants blessés pendant et à la suite de mobilisations.
La notion pragmatiste de concernement (Brunet, 2008) désigne ce qui compte, ce qui nous tient et ce à quoi nous tenons. Elle traduit la propension des êtres affectés par le cours d'une affaire à découper dans leur environnement des choses autour desquels porter leur attention et leurs engagements, leurs enquêtes et leurs actions. Susciter un concernement partagé autour d'une chose n'a rien d'évident. Cela implique de mobiliser des affects et de modifier des champs perceptifs, d'altérer des réseaux de signification et d'interrompre le cours de conduites ordinaires, d'identifier des faisceaux de conséquences et de les relier aux sources d'attachements hétérogènes. La saillance et la pertinence de ces choses qui concernent se révèlent et s'étendent par des processus de factualisation et de valuation, qui jalonnent les activités du public, en particulier dans le cours d'un rassemblement.
Notes de terrain du samedi 29 octobre 2022, Sainte-Soline.
Notes de terrain du samedi 29 octobre 2022, Sainte-Soline.
Notes de terrain du samedi 29 octobre 2022, Sainte-Soline.
Notes de terrain du samedi 29 octobre 2022, Sainte-Soline.