Articles | Volume 79, issue 2
https://doi.org/10.5194/gh-79-101-2024
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05 Apr 2024
Standard article |  | 05 Apr 2024

Au centre est l'État-nation. Le Monde vu par des étudiants du Kazakhstan

Clarisse Didelon Loiseau, Almagul Mussina, Yann Richard, Nurzhanat D. Shakirova, and Julien Thorez
Résumé

A 2010 survey of more than 10 000 students from 18 countries showed that Central Asia was virtually absent from their representations of the world. In order to check whether this was also the case in the representations of students from this region, this survey was replicated in Kazakhstan, while nevertheless making the assumption that a Central Asian region would be largely represented by the students. While the results confirm important aspects of the theory of social representations of space, they also provide some original insights, showing in particular the very large place given to States, and in particular the Kazakh State, in the breakdown of the World. The prominence of States in Kazakh students' representations of the World can be analysed as a sign of the appropriation of the nation-state model by Kazakh students, some thirty years after the country's independence.

1 Introduction

En mobilisant des images, les représentations sociales peuvent être de puissants facteurs de territorialisation, car elles permettent aux individus et aux groupes sociaux d'appréhender l'espace dans son étendue et ses limites, de se l'approprier symboliquement tout en construisant des appartenances individuelles et collectives (Moscovici, 1988; Alarcón Meneses et Conde Calderón, 2007; Didelon-Loiseau, 2013). C'est ce que J.-Cl. Abric nomme la «fonction identitaire» des représentations : elles contribuent à la définition de l'identité sociale des individus, elles maintiennent la spécificité d'un groupe social et elles permettent de légitimer certaines décisions, actions et conduites à l'égard d'autres groupes sociaux (Abric, 1994). De ce fait, les représentations mentales du Monde peuvent apparaître comme une traduction de la façon dont les individus et les groupes sociaux se situent dans le Monde et par rapport aux autres groupes sociaux (Didelon-Loiseau, 2013). Pour les analyser, l'étude des cartes mentales est précieuse, car celles-ci expriment la réalité subjective de l'espace, alimentée par des représentations partagées par les membres d'un groupe social donné (Paulet, 2002; Gueben-Venière, 2011).

Dans cet article, nous étudions les représentations mentales du Monde des étudiants kazahkstanais :es en partant de deux postulats. D'une part, le Monde échappe largement aux pratiques spatiales individuelles, car il n'est pas possible pour un individu d'en avoir une connaissance directe et complète, malgré l'intensification des mobilités individuelles. D'autre part, le Monde est l'objet de représentations qui présentent des propriétés récurrentes. Premièrement, les représentations du Monde sont majoritairement centrées autour des individus (Saarinen, 1998) et reflètent, dans des mesures variables, des sentiments d'appartenance à des espaces (Didelon-Loiseau, 2013). Cette caractéristique renvoie à ce que Moles et Rohmer (1978) appellent les «coquilles de l'homme». Leurs travaux ont montré que les représentations de l'espace sont organisées en fonction de la distance entre l'objet représenté et l'individu qui le représente, le niveau de connaissance d'un espace dépendant de l'effort cognitif à fournir. Dans cette perspective, les «coquilles» correspondent peu ou prou aux différents niveaux scalaires familiers aux géographes, mais sont «centrées sur le sujet géographique» (Monnet, 1999); elles sont bien identifiables dans les résultats de travaux sur les représentations cognitives du Monde (Pinheiro, 1998; Didelon-Loiseau, 2013). Deuxièmement, l'élaboration des représentations du Monde est largement conditionnée par l'environnement dans lequel se trouve un individu ou un groupe social, c'est-à-dire par le contexte et le statut socio-économiques, les pratiques sociales, le lieu de vie et le contexte géographique, les traditions et les conventions académiques transmises, entre autres, par l'école (Bourdieu, 1980; Thiesse, 2001; Rigollet, 2022; Ott, 2022). Mais aussi, plus largement, par le contexte idéologique et politique (Paulet, 2002), même s'il peut y avoir un décalage entre les représentations de la population et celles des élites politiques au pouvoir (Didelon-Loiseau et Richard, 2021).

Une enquête menée au début des années 2010 – le projet EuroBroadMap – a permis d'étudier les représentations du Monde d'environ 11 000 étudiants dans 18 pays1, en s'intéressant tout particulièrement à la façon dont ils découpent le Monde en régions (Didelon-Loiseau et al., 2011; Beauguitte et al., 2012). Fondée sur l'analyse de cartes mentales, cette enquête a révélé l'existence d'entités géographiques «dures», fortement ancrées dans les représentations, et d'entités géographiques «molles», dont les désignations sémantiques et les contours géographiques varient beaucoup d'une personne et d'un groupe social à l'autre (Didelon-Loiseau et al., 2011). Elle a également permis d'identifier des espaces »interstitiels«, situés aux confins de deux ou plusieurs structures continentales.

Dans cette enquête, l'Asie centrale, entendue comme la région regroupant le Kazakhstan, le Kirghizstan, l'Ouzbékistan, le Tadjikistan et le Turkménistan (auxquels sont quelquefois adjoints l'Afghanistan, l'ouest de la Chine et la Mongolie), apparaît comme l'un de ces espaces interstitiels (Didelon-Loiseau et al., 2011). D'une part, c'est un des espaces les plus rarement renseignés dans les cartes des régions du Monde dessinées par les étudiants. D'autre part, c'est un des espaces les moins clairement définis et une des zones d'appartenance multiple les plus manifestes, aux confins de grandes structures fortement ancrées dans les représentations, telles que l'Europe, l'Asie et la Russie. Par ailleurs, l'Asie centrale est souvent fragmentée : c'est un des endroits où les étudiants ont tracé le plus de limites séparant différentes régions sans respecter les tracés des frontières étatiques, de sorte que les États centrasiatiques se trouvent fréquemment coupés en deux, en particulier le Kazakhstan. Cette propension à diviser l'Asie centrale est un fait très original, car les étudiants interrogé :e :s ont, au contraire, en grande majorité montré une aversion pour les coupures passant à l'intérieur des masses continentales. Tout cela fait de l'Asie centrale un angle mort dans les représentations du Monde des étudiants étrangers :ères à la région. Elle n'est ainsi quasiment jamais désignée comme telle sur les cartes. Sur plus de 35 000 régions dessinées et nommées par les étudiants, seules 87 portent le nom «Asie centrale» (Didelon-Loiseau et al., 2011; Beauguitte et al., 2012).

Ces résultats confirment que, à l'échelle mondiale, l'Asie centrale reste largement une terra incognita, ce qui peut apparaître comme l'une des conséquences du fait que l'étude de la région se fait «en mode mineur» (Gorshenina, 2009). Mais ils invitent, en même temps, à étudier les représentations du Monde des jeunes Centrasiatiques afin de savoir dans quelle mesure ces dernières présentent des similitudes ou des différences avec celles des jeunesdes autres pays et, ainsi, d'éprouver quelques hypothèses théoriques (centralité des cartes mentales, continentalité des régions mondiales dessinées, etc.). Ces résultats incitent notamment à s'interroger sur l'existence d'une région «Asie centrale» dans leurs représentations. Dans cette perspective, nous avons mené des enquêtes au Kazakhstan en 2018 et 2019.

Des recherches sur les représentations spatiales ont déjà été réalisées auprès des étudiants et des jeunes de ce pays. Mais ces travaux, souvent fondés sur l'analyse de cartes mentales, portent leur attention sur d'autres échelles que celle du Monde et leurs auteurs s'intéressent en particulier aux thèmes de l'identité et du sentiment d'appartenance (Burkhanov, 2019; Jašina-Schäfer, 2019; Sharipova, 2019; Rees et al., 2021), à l'image des régions kazakhstanaises (Yessimova et Valitova, 2016, 2018; Valitova et Yessimova, 2021) ou à celle du continent européen (Yessimova et Panarin, 2019).

La vision du Monde des étudiants kazahkstanais :es est celle de jeunes d'un pays qui est indépendant depuis 1991. Les autorités ont œuvré à la légitimation et à la construction de ce pays en consolidant ses institutions, en élaborant un nouveau récit national et en fabricant de nouveaux symboles étatiques (Fauve, 2015). Ce contexte politique particulier incite à observer et à étudier l'émergence éventuelle de nouvelles représentations, ainsi que le rapport des étudiants avec les grands récits géopolitiques désormais mobilisés pour décrire le Kazakhstan, l'Asie centrale et le Monde, qu'ils soient présents ou non dans la nouvelle rhétorique officielle. Dans ce cadre-là, une interrogation importante porte sur la place de l'État-nation kazakhstanais actuel, qui est une construction politique à caractère civique et non ethnique (Abashin, 2012; Davenel, 2009), alors que le Kazakhstan avait été initialement instauré au moment de la soviétisation de l'Asie centrale en tant que territoire national, c'est-à-dire en tant que territoire du groupe ethno-national formé par les Kazakhs (Haugen, 2003). Les cartes dessinées par les étudiants permettent-elles de déceler une vision stato-nationale, régionale ou continentale du Monde ? Pour répondre à cette question, nous considérons que l'étude des représentations du Monde des étudiants peut contribuer à une approche par le bas des processus de construction nationale. Cette démarche, qui prête une attention particulière aux imaginaires géopolitiques (Kolossov, 2003), nous semble d'autant plus nécessaire qu'elle vient compléter l'approche verticale de la formation de l'État-nation kazakhstanais, centrée sur l'État, qui fut longtemps dominante et dont les limites ont été soulignées de façon convaincante (Isaacs et Polese, 2015). Isaacs et Polese (2015) font notamment le constat que les recherches sur la construction nationale ont longtemps orienté l'attention sur les élites politiques ainsi que sur les dispositifs idéologiques et institutionnels qu'elles mettent en œuvre, négligeant de ce fait leur réception par la population et leur influence sur les pratiques et les représentations des citoyen :ne :s ordinaires. Dans le sillage de publications récentes sur la société kazakhstanaise et en particulier sur la jeunesse (Umbetaliyeva et al., 2016; Laruelle, 2019), notre article contribue à combler cette lacune en proposant, à travers l'analyse de cartes mentales du Monde, un éclairage original sur ce processus. Il vient ainsi enrichir les travaux récemment publiés portant sur les dynamiques identitaires qui traversent la jeunesse kazakhstanaise (Burkhanov, 2019; Jašina-Schäfer, 2019; Sharipova, 2019; Rees et al., 2021) et sur ses valeurs morales et politiques (Junisbai et Junisbai, 2018).

Après avoir présenté l'enquête réalisée au Kazakhstan et les méthodes mises en œuvre, nous exposons et nous interprétons les principaux résultats de notre recherche en trois temps. Premièrement, nous faisons le constat que les représentations du Monde des étudiants kazahkstanais :es présentent des similitudes avec celles des étudiants des autres pays du Monde, ce qui valide plusieurs postulats théoriques portant sur l'étude des représentations géographiques. Deuxièmement, nous soulignons que la région «Asie centrale» est quasiment absente des cartes dessinées par les étudiants, occultée notamment par une vaste région «Eurasie». Troisièmement, nous mettons en évidence le fait que la principale originalité des représentations du Monde des étudiants enquêté :e :s est la très grande place accordée aux États eten particulier à l'État kazakhstanais, ce que l'on peut analyser, un peu plus de trente ans après l'indépendance, comme un signe de l'appropriation du modèle de l'État-nation2.

2  Sources et méthodes de l'enquête auprès des étudiants kazahkstanais :es

2.1 Une enquête menée à Almaty, Astana et Qaraġandy

L'enquête menée au Kazakhstan a été construite en réitérant le protocole utilisé dans le projet EuroBroadMap, afin de permettre la comparaison des résultats. La population visée par l'enquête est ainsi la même : il s'agit d'étudiants de troisième année. L'enquête a été menée dans trois villes kazakhstanaises au cours de deux missions en mai 2018 et en décembre 2019 : Almaty, Astana et Qaraġandy, dont nous pensions que les caractéristiques socioéconomiques et les situations géographiques différentes pouvaient induire des variations dans les représentations du Monde des personnes interrogées (Hanks, 2019; Rees et al., 2021; Valitova et Yessimova, 2021). Située dans l'extrémité sud-est du pays, Almaty a été la capitale politique de la République socialiste soviétique kazakhe puis de la République du Kazakhstan de 1929 à 1997. Elle demeure aujourd'hui la capitale économique et la ville la plus peuplée du Kazakhstan, avec plus de 2,1 millions d'habitant :e :s (aujourd'hui majoritairement kazakh :e :s). Située dans le centre-nord du pays, Astana (anciennement Akmolinsk, Tselinograd, Akmola et Nur-Sultan) est désormais la capitale politique en même temps qu'un pôle économique de premier plan. La ville connaît, de ce fait, une croissance démographique très soutenue : la population s'est officiellement élevée de 0,328 million d'habitants en 1999 à 1,34 millions d'habitants en 2022. Cette dynamique s'accompagne de la kazakhisation très rapide de la population : alors que les Kazakhs représentaient moins de 20 % de la population au recensement de 1989, ils sont désormais plus de 80 %. Cœur d'une grande région industrielle soviétique, Qaraġandy compte un demi-million d'habitant :e :s. Son développement a été fondé sur l'extraction minière et l'industrie lourde; il a notamment été marqué par l'arrivée de populations réprimées par les autorités staliniennes dans les années 1930 et 1940 («koulaks», «peuples punis», etc.). Sa population, qui a particulièrement subi la crise économique des années 1990, est encore aujourd'hui majoritairement, quoique de peu, russophone3.

Le questionnaire a été complété par des étudiants de cinq universités : l'université nationale pédagogique kazakhe Abaï à Almaty (277 étudiants), l'université nationale d'Eurasie à Astana (157) et l'université privée Bolašaq de Qaraġandy (82) et, de manière marginale, l'université nationale kazakhe Al Farabi (12) et le Kimep (Institut kazakhstanais de management, d'économie et de prospective) à Almaty (6). Au total, 534 étudiants ont donc été interrogé :e :s. Cet échantillon présente des profils variés, du point de vue de leur origine géographique, de leur classe sociale ou de leur identité ethnique : l'université nationale pédagogique kazakhe Abaï et l'université nationale d'Eurasie recrutent des étudiants dans l'ensemble du territoire kazakhstanais, avec toutefois une surreprésentation des régions septentrionales à Astana et une surreprésentation des régions méridionales à Almaty; à l'université Bolašaq, les étudiants viennent principalement de la région de Qaraġandy. Avec l'aide du corps enseignant, le questionnaire leur a été distribué en version imprimée lors de séances de cours ou de sessions auxquelles iels avaient été convié :e :s; nous sommes également intervenu :e :s dans des cours. Nous leur présentions alors le questionnaire et les consignes pour le remplir en leur indiquant qu'il était possible de ne pas répondre et que cette enquête n'était pas un test de connaissance, que c'était bien leurs propres représentations du monde qui nous intéressaient et qu'enfin, nous garantissions l'anonymat du questionnaire4.

Ce questionnaire anonyme a été proposé aux étudiants dans une version bilingue kazakhe et russe, leur permettant de choisir la langue de réponse. Après quelques questions permettant de caractériser l'échantillon interrogé et de vérifier l'influence de certaines variables socio-économiques sur les représentations du Monde, le cœur du questionnaire était constitué d'une carte du monde en projection polaire (autour du pôle Nord) sur laquelle nous avons demandé aux étudiants de dessiner des régions du Monde et de leur attribuer un nom (Fig. 1).

https://gh.copernicus.org/articles/79/101/2024/gh-79-101-2024-f01

Figure 1Inclusion des espaces dans les régions dessinées par les étudiants lors de la régionalisation du monde. Source : Auteurs, projet Moka, le Monde vu du Kazakhstan, 2018–2020, labex DynamiTe. Carte réalisée avec Magrit (http://magrit.cnrs.fr, la date du dernier accès : 17 octobre 2023).

2.2 Un échantillon kazakhophone et féminin

Notre échantillon présente des caractéristiques qui rendent difficile toute généralisation à l'ensemble de la population ou de la jeunesse kazakhstanaise. D'une part, il est exclusivement constitué de jeunes d'environ vingt ans. Or, il est établi que les valeurs, les principes et les représentations de la «génération Nazarbaev»5 diffèrent de ceux des générations antérieures, encore marquées par leur jeunesse soviétique (Laruelle, 2019). En particulier, les enquêtes sociologiques ont mis en évidence la proximité de la jeunesse Kazakhstanaise avec les valeurs et les principes promus par les autorités depuis l'indépendance (Junisbai et Junisbai, 2018). D'autre part, notre échantillon est très majoritairement féminin (85 %), en raison des universités et des filières (sociologie, langues, géographie, psychologie, etc.) où nous avons pu mener l'enquête. Les jeunes femmes forment par exemple la grande majorité des personnes inscrites à l'Université nationale pédagogique kazakhe Abaï dans les parcours de formation au métier d'enseignant :e du primaire et du secondaire. Cela dit, les travaux que nous avons réalisés auparavant dans d'autres pays n'ont pas révélé l'existence de représentations spécifiquement masculines ou féminines, en ce qui concerne les régions dessinées ou les noms qui leur sont donnés sur les cartes (Didelon-Loiseau, 2013).

Le questionnaire ne comportait aucune question sur l'identité ethnique, mais comprenait une question sur les connaissances et les pratiques linguistiques, qui a permis d'établir que notre échantillon était également très majoritairement kazakhophone, puisque 85 % des étudiants ont déclaré parler kazakh dans leur vie quotidienne lorsqu'ils avaient cinq ans. Ce chiffre excède la part des Kazakh :e :s dans la population totale – 70,4 % d'après le recensement de la population de 2021 – mais il se rapproche des équilibres inter-ethniques observés parmi les jeunes générations6. Notons que les deux-tiers des personnes interrogées indiquent également aujourd'hui parler russe dans leur vie quotidienne.

Plusieurs questions portaient sur le statut économique et social des étudiants (niveau de revenu de la famille, niveau d'études des parents, etc.), mais les résultats obtenus n'ont pas permis de traiter cette information, en raison d'un trop grand nombre d'incohérences. Tout cela nous conduit à souligner que notre échantillon ne prétend pas être représentatif de la diversité sociale, régionale ou nationale de la société kazakhstanaise et qu'il ne permet pas de distinguer spécifiquement les groupes socio-politiques que plusieurs auteurs identifient au Kazakhstan : les Kazakh :e :s des aouls (villages), kazakhophones et musulmans, les Kazakh :e :s des villes attachés aux valeurs libérales, les Kazakh :e :s nationalistes, les Russes et Russophones (Rees et al., 2021), dont on peut faire l'hypothèse que leurs représentations du Monde diffèrent.

Les personnes interrogées sont majoritairement nées au Kazakhstan de parents eux-mêmes nés au Kazakhstan, mais on peut aussi déceler dans l'échantillon la présence de quelques Oralmandar [en kazakh, «ceux qui reviennent»] ou Qandastar [en kazakh, «ceux de même sang»], Kazakh :e :s ethniques ayant migré au Kazakhstan depuis l'indépendance dans le cadre d'un programme de rapatriement des minorités co-ethniques de l'étranger (Mongolie, Chine, Ouzbékistan, etc.) (Diener, 2020). Environ 5 % de l'échantillondéclarent enfin ne pas avoir la citoyenneté kazakhstanaise. Il s'agit soit de Kazakh :e :s ayant récemment immigré qui attendent d'obtenir leur citoyenneté, soit d'étudiants centrasiatiques qui font leurs études au Kazakhstan.

2.3 Traitement et analyse

La saisie des questionnaires s'est faite en deux temps : les réponses textuelles ont d'abord été saisies dans une langue commune (en français) à partir des réponses en kazakh et en russe; ensuite, les questionnaires ont été scannés et les cartes digitalisées manuellement grâce à un système d'information géographique (QGIS). Après une jointure des bases données textuelles et cartographiques, le logiciel utilisé a permis d'analyser le corpus des cartes recueillies de deux manières différentes. D'une part, l'analyse a porté sur les régions dessinées par les étudiants : nous avons pu ainsi caractériser leurs représentations du Monde et les comparer avec les régions identifiées par les étudiants d'autres pays. Dans cette approche, nous avons pu également affiner l'analyse en vérifiant de manière systématique dans quelle région du Monde les personnes interrogées plaçaient le Kazakhstan et comment elles nommaient cette région. D'autre part, il a été possible de concentrer notre attention sur une région en particulier, en l'occurrence l'Asie centrale. En sélectionnant cette partie du Monde sur la base des noms donnés par les étudiants, nous avons pu vérifier combien de personnes dessinaient et nommaient explicitement cette région et quelle forme et quelle extension spatiale elles lui donnaient. Notre matériel empirique est donc constitué d'un corpus de cartes et de mots qui permet à la fois une approche cartographique et une analyse textuelle.

Les cartes dessinées par les étudiants ont été confrontées aux découpages du Monde observables dans les manuels scolaires de géographie, ainsi que dans les atlas de géographie et d'histoire utilisés dans les collèges et les lycéens kazakhstanais. Nous nous sommes ainsi inspirés de la démarche d'E. Copeaux dans ses travaux sur le rôle essentiel des cartes dans la construction de l'État-nation, qu'il appréhende en analysant les représentations cartographiques présentes dans les manuels scolaires, à partir du cas de la Turquie (Copeaux, 2000). E. Copeaux a en effet mis en évidence que les cartes occupent une place particulière dans les mécanismes de légitimation de l'État-nation turc, liée notamment à la grande efficacité du discours graphique et à l'«effet d'autorité» dont elles bénéficient, auparavant identifié par Christian Grataloup (Grataloup, 1996). Il souligne également qu'elles «représentent un exemple de production et de diffusion de masse de stéréotypes cartographiques, dont le nombre et la durée de publication peuvent être à l'origine d'une représentation du Monde» (Copeaux, 2005). Trois manuels de «Géographie» des classes de 7e, de 9e et de 10e, ont été analysés dans cette perspective (Egorina et al., 2017; Usikov et al., 2019; Kaymuldinova et Abylmazhinova, 2019), ainsi qu'un manuel de «Connaissance du monde» de classe de 4e, comprenant des chapitres de géographie et d'histoire (Turmasheva et al., 2019). Publiés entre 2017 et 2019, ils sont tous «recommandés» ou «approuvés» par le Ministère de l'Education et de la Science du Kazakhstan. Parallèlement, nous avons pris en compte quatre atlas de géographie (Kruglikova, 2020, 2022a, b, c) et neuf atlas d'histoire (Kruglikova, 2019; Okuneva, 2019, 2021, 2022; Okuneva et Kruglikova, 2022; Dadabaeva et al., 2022; Pak, 2022; Pak et Kruglikova, 2022a, b), destinés aux élèves de 5e, 6e, 7e, 8e, 9e et 10e classes. Une moitié de ces atlas est consacrée à l'histoire ou à la géographie du Kazakhstan, l'autre à l'histoire ou à la géographie du Monde.

L'analyse des cartes et des textes présents dans ces publications, lesquelles sont a minima validées par les autorités, permet d'identifier les représentations du Monde censées être transmises à la jeunesse Kazakhstanaise durant leurs études. Comme dans l'ensemble des pays issus de l'URSS, les manuels scolaires ont été repensés et réécrits pour se conformer à la nouvelle situation géopolitique et véhiculer la nouvelle rhétorique officielle, notamment en révisant la description des conditions d'intégration de l'Asie centrale et du Caucase à l'Empire tsariste au profit d'une lecture dénonçant la colonisation de ces régions (Urhès, 2001, 2004; Kilit Aklar, 2005). Toutefois, il serait réducteur de considérer cette réécriture comme une simple prise de distance par rapport à la rhétorique soviétique et russe car, par de nombreux aspects, les manuels kazakhstanais connaissent les mêmes évolutions que ceux de Russie, notamment pour les enseignements de géographie générale (essor de la géographie politique, etc.).

3 Des représentations conformes aux résultats précédents : centrage, continentalité et unité

Le découpage du Monde par les étudiants kazakhstanais :es présente plusieurs caractéristiques identiques à celui des étudiants interrogé :e :s dans le cadre du projet EuroBroadMap. Premièrement, les cartes sont centrées sur le Kazakhstan, ce qui se traduit de deux manières : dans la numérotation des régions dessinées, le chiffre «1» a été attribué à la région incluant le Kazakhstan, ce qui laisse entendre que la partition du monde a commencé à partir de cet endroit; on remarque également une plus grande abondance de détails autour du pays, voire dans le pays.

Deuxièmement, c'est une vision «terrestre» et «continentale» du monde qui domine (Fig. 1). Cette tendance se manifeste par le fait que les tracés des entités dessinées suivent le plus souvent les traits de côtes et/ou les frontières interétatiques continentales. Seulement moins de 30 % de l'échantillonéloigne un peu du littoral les limites des régions dessinées en y incluant ainsi une bande d'espace maritime; il est encore plus rare(moins de 15 % des cas) que soit inclues les régions de larges zones comme l'océan Pacifique ou l'océan Indien, etc. Les étudiants kazakhstanais :es sont en cela parfaitement identiques aux étudiants interrogé :e :s lors de précédents projets. Cette vision induit l'omission de certaines îles (Nouvelle-Zélande) ou archipels (Indonésie). Madagascar et le Groenland échappent plus souvent à cet oubli, mais en étant identifiés comme des régions à part. Un corolaire de cette tendance est l'aversion pour les coupures continentales. Les étudiants répugnent visiblement à tracer des limites de régions en passant à travers les terres émergées. Cela les conduit à choisir de manière préférentielle les détroits (Gibraltar, Bosphore, Béring) et, à défaut, les isthmes pour procéder aux découpages (isthme de Panama, isthme de Suez). Lors du tracé d'une limite au sein d'une masse de terre, les étudiants ont également tendance à suivre les frontières des États. Par exemple, la bordure orientale d'une région européenne est dessinée en suivant les frontières de la Russie avec la Finlande, l'Estonie, la Lettonie, la Biélorussie et l'Ukraine.

La tendance au centrage explique également pourquoi 95 % des étudiants kazakhstanais :es incluent le Kazakhstan dans une région. Cette propension est classique sur le plan théorique (Didelon-Loiseau, 2013). Toutefois, elle introduit une différence majeure avec les découpages du Monde faits par les étudiants des pays étrangers à la région, puisque, nous l'avons déjà dit, l'Asie centrale était souvent exclue de de toute région délimitée ou partagée afin de séparer l'«Asie» de l'«Europe». Malgré leur répugnance pour les coupures terrestres, le Kazakhstan était ainsi régulièrement coupé en deux ou plusieurs morceaux. De leur côté, les étudiants kazakhstanais :es ont, sans surprise, majoritairement tendance à ne pas diviser leur pays.

Toutefois, dans 10 % des cas, leur territoire national a été coupé. Dans ce cas, la coupure sépare généralement les régions extrême-occidentales des régions centrales et orientales et, à une échelle plus petite, une entité européenne et une entité asiatique7. Cette représentation renvoie au fait que les régions kazakhstanaises situées à l'ouest du fleuve Oural [en kazakh, Žajyq], qui appartiennent à l'oblys du Kazakhstan de l'Ouest et à celui d'Atyrau, sont souvent considérées comme européennes, ce qui implique que la limite entre Europe et Asie traverse le pays. Cette conception des découpages continentaux, dont on sait qu'ils sont une représentation autant politique que scientifique, est une convention adoptée au moment du tournant européen de l'Empire tsariste sous le tsar Pierre 1er le Grand qui a régné de 1682 à 1725 (Grataloup, 2009; Gorshenina, 2014). Elle s'est imposée dans le contexte impérial. Dans le monumental Atlas de la Russie asiatique publié en 1914 à Saint-Pétersbourg, la frontière entre l'Asie et l'Europe est ainsi située sur le fleuve Oural, alors même que les principales administrations impériales (armée, justice, éducation, religion) ne prenaient pas en compte cette discontinuité dans leurs découpages régionaux (Glinka, 1994). Durant la période soviétique, la distinction entre Europe et Asie est restée opératoire, mais plusieurs publications – comme la Grande encyclopédie soviétique – ont considéré que cette limite se trouvait un peu plus à l'est sur le fleuve Emba (Bol'šaâ sovetskaâ Ènciklopediâ, 1969–1978). En revanche, on note l'absence de mention de la limite Asie-Europe dans la plupart des publications soviétiques décrivant spécifiquement la situation géographique du Kazakhstan (Atlas Kazahskoj SSR, 1982–1985; Kozybaev, 1985–1991; Svaritshevskaya, 1965; Tshupakhin, 1968, etc.). La RSS du Kazakhstan était alors le plus souvent présentée comme située en Asie, mais certaines publications n'évoquaient tout simplement pas cet élément. Cela n'a pas empêché l'édification d'un monument célébrant cette limite continentale à Ural'sk en 19848. La frontière Asie-Europe est également mise en scène à Atyrau selon un dispositif rappelant ceux qu'on peut voir plus au nord dans les villes de Russie (Orenburg, Magnitogorsk).

Depuis l'indépendance, la réécriture du récit national valorise d'autres conceptions des découpages continentaux (voir ci-dessous), mais la limite Europe-Asie reste présente dans de nombreuses représentations, y compris dans certaines promues par les autorités (Kucera, 2017). C'est ainsi qu'elle figure, de façon stylisée, dans l'atlas du Kazakhstan destiné à la jeunesse qui a été publié en 2016 par le Fonds du Premier Président de la République du Kazakhstan – Leader de la Nation (Tatarenko et al., 2016)9. Cette conception géographique ambivalente, que les étudiants figurent en découpant leur pays, est aussi promue par le discours étatique lorsqu'il présente le pays comme un «lieu de rencontre» entre deux mondes (Alekseenko, 2016) – asiatique et européen, oriental et occidental, musulman et chrétien, turcique et slave, mais également nomade et sédentaire. Il fait référence au fait que les populations russophones sont toujours nombreuses au Kazakhstan, en particulier dans les régions septentrionales, centrales et orientales, même si la part de la population kazakhe augmente régulièrement depuis les années 1970. Au recensement de 2009, les Russophones étaient ainsi majoritaires dans plus de cinquante districts des régions de Qostanai, d'Aqmola, de Qaraġandy, du Kazakhstan du Nord, de Pavlodar et du Kazakhstan de l'Est. La limite Europe-Asie conserve un écho d'autant plus fort dans la société kazakhstanaise que la rhétorique officielle avance aussi l'idée que le pays est à la «jonction» ou est un «pont», une «interface» ou encore un «carrefour» entre l'Europe et l'Asie (Kucera, 2017), en même temps qu'elle recourt à la notion englobante et unifiante d'«Eurasie» (voir ci-dessous). Cette vision s'incarne en outre sur le plan politique et géopolitique par le modèle de développement suivi depuis l'indépendance, qui combine autoritarisme politique et libéralisme économique, lesquels sont respectivement conçus comme liés à l'Asie et à l'Europe. Elle est également incarnée par la participation du Kazakhstan à des institutions asiatiques mais également européennes dans différents domaines (politique, économie, éducation, sport, culture, etc.) (Kucera, 2017; Cornell et Engvall, 2017).

4 L'Asie centrale effacée face à une vaste Eurasie

4.1 L'Asie centrale, une région quelquefois dessinée mais rarement nommée

Le positionnement régional du Kazakhstan dans le découpage du Monde par les étudiants présente aussi quelques caractéristiques originales. L'analyse des cartes dessinées par les étudiants kazakhstanais :es permet d'observer une tendance classique à associer le pays aux pays voisins (Ouzbékistan, Tadjikistan, Turkménistan, Kirghizstan et même Afghanistan, Azerbaïdjan voire Pakistan) ou à certaines régions des pays voisins (Russie, Mongolie, Chine, voire Iran) (Fig. 2). Mais l'expression «Asie centrale» et ses équivalents proches ne sont utilisés que marginalement sur les cartes dessinées : «Asie centrale» est employée onze fois, soit seulement par 2 % de l'échantillon, «Asie moyenne» quatre fois, «Touran» une fois, et «Turkestan» et «Asie intérieure », jamais.

https://gh.copernicus.org/articles/79/101/2024/gh-79-101-2024-f02

Figure 2Régions incluant le Kazakhstan, tracées par les étudiants kazakhstanais :es. Source : Auteurs, projet Moka, le Monde vu du Kazakhstan, 2018–2020, labex DynamiTe. Carte réalisée avec Magrit (http://magrit.cnrs.fr, la date du dernier accès : 17 octobre 2023).

La sous-représentation de l'Asie centrale semble confirmer le fait que la région s'apparente à un «continent mou», dont l'existence serait incertaine et les limites floues (Grataloup, 2009; Didelon-Loiseau et al., 2011). Il est vrai que la dénomination et la définition de la région centrasiatique ne font pas consensus. Cette notion exogène, conçue entre 1810 et 1830 en Russie avant d'être reprise et promue par les orientalistes et les géographes allemands tels que Julius Klaproth et Alexander von Humboldt (Gorshenina, 2014), reste, à bien des égards, un concept à «géographie variable» (Fourniau, 2006). Sa pertinence même est mise en doute, considérant que les divergences entre les sociétés et les pays de la région priment désormais sur les convergences (Balci, 2017a, b). Pourtant, le Kazakhstan, le Kirghizstan, l'Ouzbékistan, le Tadjikistan et le Turkménistan ont fait le choix à Tachkent en 1993 d'adopter le toponyme «Asie centrale» [en russe, central'naâ Aziâ] et de reconnaître leur appartenance commune à la région, abandonnant l'ancienne distinction soviétique entre l'Asie moyenne ou Asie du milieu [en russe, srednââ Aziâ] et le Kazakhstan (Kushkumbaev, 2002). Depuis, le Kazakhstan, comme les autres pays centrasiatiques, recourt régulièrement à cette catégorie, inscrivant pour partie son action dans ce cadre régional. Attaché aux formats multilatéraux, il avait même avancé en 2005 l'idée de créer une Union des États d'Asie centrale par la voix de son président, Nursultan Nazarbaev10.

Il n'en demeure pas moins que la place réduite de l'Asie centrale dans les représentations géographiques des étudiants kazakhstanais :es incite à s'interroger sur la persistance des représentations forgées dans le cadre russe puis soviétique; d'autant plus que l'idée a un moment été avancée au Kazakhstan de renommer le pays pour lui donner un nom susceptible de le différencier plus nettement de ses voisins méridionaux, en modifiant son suffixe pour l'appeler Qazaq Elì [en kazakh, «le pays kazakh»]11. De surcroît, le creusement des écarts de développement économique avec les pays voisins situés au sud pendant la transformation post-soviétique (Thorez, 2014) a aussi pu nourrir cette perception. D'après la Banque Mondiale, en 2019, le PIB par habitant atteignait en effet près de USD 10 000 au Kazakhstan, mais seulement USD 890 au Tadjikistan, USD 1370 au Kirghizstan et USD 1780 en Ouzbékistan.Cet indicateur rapprochait ainsi davantage le Kazakhstan de la Russie (USD 11 500) et de plusieurs pays d'Europe de l'Est, tels que la Bulgarie (USD 9800), la Roumanie (USD 12 000) voire la Pologne (USD 15 700).

La rareté des références à l'Asie centrale dans les cartes dessinées par les étudiants kazakhstanais es est également due au fait que les manuels et les atlas scolaires occultent largement cet aspect de la situation géographique du Kazakhstan : parmi les atlas historiques et géographiques destinés aux écoles, collèges et lycées que nous avons analysés, aucun ne comporte de carte de l'Asie centrale ou plaçant le Kazakhstan en Asie centrale. Dans les manuels de géographie, seules quelques cartes – principalement de géographie physique (précipitations, températures, etc.) – inscrivent le Kazakhstan dans son environnement régional proche12. Le constat est presque identique dans l'enseignement supérieur : une des difficultés rencontrées par les rares cursus d'études centrasiatiques offerts par les universités kazakhstanaises est l'absence de manuel universitaire portant sur la région (Marmontova et Serikbaeva, 2018).

Il ne faut toutefois pas sur-interpréter l'effacement de l'Asie centrale, car des enquêtes sociologiques menées auprès de la jeunesse Kazakhstanaise au milieu des années 2010 ont montré que les deux-tiers des personnes interrogées étaient favorables à l'intégration de leur pays à une union centrasiatique comprenant le Kazakhstan, le Kirghizstan, l'Ouzbékistan, le Tadjikistan et le Turkménistan (Umbetaliyeva et al., 2016). Ce fait rappelle qu'il n'existe pas de corrélation systématique entre les représentations géographiques et les aspirations politiques.

4.2 Des découpages du Monde faisant une place importante à l'Eurasie

Dans les représentations des étudiants kazakhstanais :es, la quasi-absence de l'Asie centrale s'explique enfin par la concurrence d'autres conceptions du découpage du Monde, à travers la mise en avant de la notion d'Eurasie et/ou le choix de privilégier les entités étatiques. Le nom «Eurasie»13 est en effet utilisé par plus de 15 % de l'échantillon interrogé (contre seulement 2,35 % de l'échantillon interrogé dans le projet EuroBroadMap, avec des variations toutefois assez fortes : 1,5 % des étudiants de l'Union européenne et 10,5 % des étudiants russes). Sur leurs cartes, les limites de cette région suivent approximativement le trait de côte, avec une certaine hésitation à propos de l'Europe. Celle-ci est tantôt séparée, tantôt incluse et présentée comme une périphérie occidentale d'un vaste continent eurasiatique (Fig. 3).

https://gh.copernicus.org/articles/79/101/2024/gh-79-101-2024-f03

Figure 3Régions nommées «Eurasie» tracées par les étudiants kazakhstanais :es Source : Auteurs, projet Moka, le Monde vu du Kazakhstan, 2018–2020, labex DynamiTe. Carte réalisée avec Magrit (http://magrit.cnrs.fr, la date du dernier accès : 17 octobre 2023).

La place de l'Eurasie renvoie au souci des étudiants de s'appuyer sur les limites des terres émergées pour dessiner les régions du Monde. Mais elle est aussi liée à l'influence de l'idéologie eurasiste promue par l'État kazakhstanais (Vielmini, 2000; Mostafa, 2013; Anceschi, 2014; Cornell et Engvall, 2017). Après l'indépendance du pays, dans un contexte commun à la plupart des pays issus de l'URSS de popularisation des thèses néo-eurasistes promues par Lev Gumilev (1912–1992), les autorités ont en effet repris et réinterprété (Mostafa, 2013) la notion d'«eurasisme»14, qui avait émergé dans l'émigration russe pendant l'entre-deux-guerres et qui avait été mobilisée par l'écrivain kazakh Olzhas Suleymenov à la fin de la période soviétique pour définir la situation géographique du pays (Laruelle, 2000, 2021). C'est ainsi que le Kazakhstan s'est pensé dès le début des années 1990 comme étant «en Asie un État unique dans lequel sont entrelacées racines européennes et racines asiatiques» et où «la combinaison de différentes cultures et traditions permet d'absorber le meilleur des cultures européenne et asiatique» (Nazarbaev, 1997). Depuis, le pays se présente comme le «cœur de l'Eurasie» (Nazarbaev, 2005)15, même si aucun élément relatif à sa situation géographique ne figure dans sa Constitution16.

La mise en avant de la notion d'Eurasie transparaît sans surprise dans les manuels et les atlas scolaires, à l'instar de ce que l'on observe dans ceux qui sont utilisés en Russie. La quasi-totalité donnent en effet à voir un Monde partagé en six continents (Eurasie, Afrique, Océanie/Australie, Amérique du Nord, Amérique du Sud, Antarctique), ce découpage renvoyant à des critères physiques. C'est seulement quand ils évoquent la régionalisation du Monde et abordent les notions de «région historique et culturelle» ou de «région géopolitique» que les manuels et les atlas proposent des découpages plus fins qui, au sein de l'Eurasie, distinguent l'Asie de l'Europe ou font des distinctions à l'intérieur de ces «macro-régions» (Europe occidentale, Europe centrale et orientale, etc.). Dans ce cas, le Kazakhstan est souvent intégré à un ensemble «russo-euro-asiatique» qui rassemble les pays issus de l'URSS, à l'exception des pays Baltes et quelquefois de l'Ukraine, de la Biélorussie et de la Moldavie. Cela dit, moins de 1 % de l'échantillon interrogé a fait apparaître dans leur découpage du Monde une entité appelée «CEI» ou encore «URSS». Et personne n'a fait référence à un «monde russe», bien que cette notion [en russe, russkij mir] soit activement promue par l'État russe depuis 2007, notamment auprès des populations russes et russophones qui résident dans les pays post-soviétiques (Janiša-Schäfer, 2019).

Le fait de considérer l'Eurasie comme un continent dans les atlas kazakhstanais rompt avec le découpage continental qui existait dans les atlas soviétiques d'où la notion d'Eurasie était absente, en particulier dans les Atlas du Monde [en russe, Atlas Mira] publiés en 1954 et en 1967 (Baranov, 1954, 1967). Toutefois, cette conception était déjà présente dans d'autres publications soviétiques de référence, notamment dans la Grande encyclopédie soviétique qui définissait l'Asie et l'Europe comme les deux «parties» [en russe, čast'] du continent eurasiatique.

L'importance accordée par les étudiants kazakhstanais : es à l'Eurasie doit être également reliée au fait que cette notion imprègne désormais le paysage physique et symbolique national. Dans l'espace public, les références à l'Eurasie sont très nombreuses depuis les années 1990, notamment à travers différents noms de lieux ou d'entités telles que des universités, des banques, des centres commerciaux, des magasins, etc. (Vielmini, 2000). Plus fondamentalement, cette notion alimente la rhétorique étatique en matière de politique intérieure comme de politique extérieure (Anceschi, 2014). Après l'indépendance, les autorités ont conçu la promotion du concept d'Eurasie comme un outil de gestion de la diversité ethnique, alors que la population kazakhe était encore minoritaire à la fin de la période soviétique17. Pour le pouvoir, il s'agissait notamment de contenir les risques de tensions interethniques et interconfessionnelles. Depuis un discours de Nursultan Nazarbaev prononcé à Moscou en 1994, cette notion est aussi une des clés de voute de la doctrine de politique étrangère multivectorielle du pays, laquelle priorise l'intégration régionale – eurasiatique plus encore que centrasiatique – ainsi que l'établissement de relations diplomatiques et économiques étroites avec des partenaires d'orientation géopolitique divergente (Russie, Chine, Etats-Unis, Union européenne, Turquie, Japon, Corée du Sud, Inde, etc.) (Laruelle, 2018). Cette orientation politique se concrétise de différentes manières, notamment par la participation du Kazakhstan à l'Union économique eurasiatique (UEE), dont Nursultan Nazarbaev avait esquissé les contours juste après la disparition de l'URSS. Le concept d'Eurasie imprègne d'autant plus les représentations des étudiants kazakhstanais :es qu'il n'est pas mobilisé seulement par les autorités d'Astana (et de Moscou, dont les relais médiatiques restent forts au Kazakhstan), mais qu'il accompagne la mise en œuvre de projets géoéconomiques et géopolitiques aussi importants que la Belt and Road Initiative (BRI), qui fut annoncée par Xi Jinping à Astana en 2013 et dont le volet continental accorde une place centrale au Kazakhstan (Lasserre et al., 2019).

4.3 Quelques absences remarquables

A contrario, plusieurs notions géopolitiques pourtant fréquemment associées au Kazakhstan n'ont pas été utilisées par les étudiants kazakhstanais :es, outre celle du «monde russe», dont l'absence a été déjà été évoquée. Ainsi, aucune mention n'a été faite au «monde turcique» ou «monde turc» [en turc Türk Dünyası], bien que ce concept soit largement mis en avant depuis trois décennies par la Turquie et ses différents relais et qu'il rencontre un certain succès en Asie centrale, notamment au Kazakhstan oùenviron les trois-quarts de la population déclarent être d'une nationalité turcique lors du recensement de 2021 (Kazakhs, 70,4 %, Ouzbeks, 3,2 %, Ouïghours, 1,5 %, Tatars, 1,1 %, etc.). La disparition de l'URSS et l'indépendance des républiques centrasiatiques et caucasiennes ont en effet ouvert de nouvelles perspectives de promotion de la turcité et de structuration du monde turcophone, à travers des institutions politiques et culturelles, ainsi que de réseaux économiques et religieux (Balci, 2003; Bazin et de Tapia, 2012). Le Kazakhstan est ainsi membre fondateur du Conseil turcique [en kazakh, Türkì keng esì], qui a été créé en 2009 et est devenu l'Organisation des États turciques [en kazakh, Türkì MemlekettìrìngUjymy] en 2021. Par ailleurs, Astana héberge le siège de l'Académie turcique (Turkic World Educational and Scientific Cooperation Organisation (TWESCO)), institution de recherche inaugurée en 2010 dont les travaux portent sur l'histoire, les cultures et les langues des sociétés du monde turcique18.

Il faut également souligner que seuls deux personnes ont individualisé et nommé une aire «pays musulmans», bien que 85 % de l'échantillon interrogé ait indiqué dans le questionnaire initial que leur religion était «l'islam ». Il n'est donc pas possible d'identifier une forme de territorialisation de l'Umma dans les représentations du Monde des étudiants kazakhstanais :es, malgré l'intégration croissante des musulmans centrasiatiques dans les institutions internationales et dans les réseaux transnationaux de l'Islam (Balci, 2017a, b). La marginalité de ce récit géopolitique civilisationnel appuyé sur la religion dans les cartes produites par des personnes qui se déclarent «musulmanes» n'est pas propre au Kazakhstan, puisque des enquêtes plus anciennes, en Azerbaïdjan, en Egypte, au Sénégal, en Tunisie et en Turquie, avaient abouti à un constat identique (Didelon-Loiseau et Richard, 2020).

Il est tentant de conclure que le découpage du Monde par les étudiants kazakhstanais :es repose principalement sur des critères naturels, tant les régions historiques et géopolitiques (monde russe, monde turcique, monde musulman) semblent occultées par des régions dont les contours sont généralement perçus, au moins dans un premier temps, comme des limites physiques (Afrique, Amérique du Nord, Amérique du Sud, Australie, voire Eurasie, etc.). La géographie physique semble ainsi s'imposer dans les représentations du Monde au détriment de la géographie culturelle, de la géographie sociale et de la géographie politique. Au Kazakhstan, cela ferait écho à l'importance toujours grande de la composante physique de la géographie dans l'enseignement de la discipline. Pourtant, s'il est opératoire à l'échelle des continents, ce constat ne l'est pas à une échelle plus fine, car les étudiants kazakhstanais :es ont privilégié, au sein des macro-régions, un découpage éminemment politique, traduisant une vision étatique du Monde.

5 Une vision étatique du Monde : l'appropriation du modèle de l'État-nation par les étudiant :e :s

5.1 Une surreprésentation des États et surtout du Kazakhstan

Une des principales originalités des représentations du Monde des étudiants kazakhstanais :es est le poids des États : bien que la consigne fût claire, des pays ont été identifiés comme régions du monde un nombre significatif de fois. Parmi les noms cités par plus de 20% de l'échantillon, on trouve ainsi cinq noms de régions (par ordre de fréquence décroissante : Afrique, Australie19, Amérique du Sud, Amérique du Nord, Europe) et quatre noms de pays (Russie, Kazakhstan, Chine, Etats-Unis). La région «Asie» est nommée par à peine plus de 15 % des étudiants qui ont plutôt tendance à identifier comme région les États riverains les plus grands (Russie, Chine, Mongolie). La faible visibilité de l'Asie corrobore les résultats observés dans le projet EuroBroadMap, l'Asie étant la plus floue et la moins stable des grandes régions du monde dans les représentations cognitives (Beauguitte et al., 2012).

Mais, dans le cas des étudiants kazakhstanais :es, le faible poids de l'Asie est surtout le corollaire de la surreprésentation des mailles étatiques dans leur régionalisation du Monde (en même temps qu'il renvoie à l'utilisation de notions concurrentes, en particulier celle d'Eurasie). En effet, les noms de pays représentent presque la moitié des noms donnés aux régions dessinées sur les cartes, tandis que les noms de continents ou de macro-régions ne comptent que pour un tiers. Ces résultats distinguent nettement les représentations du Monde de l'échantillon kazakhstanais de celles de l'échantillon des autres pays. En effet, parmi les toponymes utilisés par ce dernier pour désigner les espaces figurant sur les cartes, 47 % étaient des noms de continents ou de régions, tandis que 14 % seulement étaient des noms de pays (Beauguitte et al., 2012).

Les pays les plus souvent identifiés comme des régions par les étudiants kazakhstanais :es (Fig. 4) présentent certaines caractéristiques géographiques et géopolitiques : ils possèdent un vaste territoire (Russie, Canada, Chine, Etats-Unis, Brésil); ils sont géographiquement proches du Kazakhstan (Russie, Chine, Mongolie, Ouzbékistan, Kirghizstan); ils présentent une assise géographique originale permettant de les identifier aisément (Madagascar, Groenland, Chili); ils jouent un rôle important dans les équilibres politiques et économiques mondiaux et régionaux (Chine, Etats-Unis, Russie, Japon, Inde, Turquie) et/ou ils sont situés dans une région connue par les étudiants (l'Europe, l'Asie centrale), au sein de laquelle sont distingués des pays (France, Italie, Ouzbékistan, Kirghizstan) ou des sous-régions (Yessimova et Panarin, 2019). Sur les cartes, leurs limites ont généralement été dessinées en surlignant les frontières nationales.

https://gh.copernicus.org/articles/79/101/2024/gh-79-101-2024-f04

Figure 4Noms de pays utilisés par les étudiants kazakhstanais :es pour nommer les entités régionales dessinées sur les cartes. Source : Auteurs, projet Moka, le Monde vu du Kazakhstan, 2018–2020, labex DynamiTe. Carte réalisée avec Magrit (http://magrit.cnrs.fr, la date du dernier accès : 17 octobre 2023).

Parmi les États identifiés, le Kazakhstan occupe une place à part. Mentionné par 35% de l'échantillon, il n'est que le deuxième pays le plus nommé, juste derrière la Russie. Mais à l'emplacement du Kazakhstan, on observe également sur les cartes, de nombreuses références à la culture, à la société, à l'histoire ou à la géographie kazakhes et kazakhstanaises20. Des étudiants évoquent ainsi des figures historiques majeures : Kerei Khan et Janibek Khan qui furent, à la fin du XVe siècle, les pères-fondateurs du Khanat kazakh, c'est-à-dire, selon le récit national, de la première entité politique kazakhe; Abylaï Khan, qui, au XVIIIe siècle, a cherché à fédérer l'ensemble des confédérations tribales kazakhes face aux Djoungares et, dans ce contexte, prêta allégeance à la Russie. De même, des épisodes historiques fondateurs sont évoqués : le Khanat kazakh; le mouvement Alash Orda, qui œuvra pour l'autonomie politique des Kazakhs de 1917 à 1920. Des noms de tribus (Aday, Nayman, Dulat, Argyn, etc.) sont également mentionnés, dans un contexte de réinvestissement sous différentes formes des affiliations lignagères. Des lieux emblématiques du pays sont également cités : des régions, comme le désert du Mojynkum, la péninsule du Mangystau, les hauteurs centrales du Sary-Arka ou les montagnes de l'Alatau; des villes, notamment Astana, Almaty, Karaganda, Atyrau et Chymkent; des villages, ce qui atteste l'importance persistante du Kazakhstan des aouls dans la société contemporaine; des lieux symboliques, comme la tour de Bayterek, qui est un emblème de la nouvelle capitale comme de l'État indépendant (Fauve, 2015), la montagne Otpan Tau, où a été édifié en 2007 un complexe mémoriel dédié à Adaï-Ata, la figure tutélaire de la tribu des Adaï (Mukhamediuly, 2017), ou bien Kök Žajlau [en kazakh, «le pâturage d'été vert»], vallon situé au-dessus d'Almaty où la création d'une station de ski a été annulée devant l'opposition des mouvements écologistes et de la société civile (Insenbayeva, 2020). Les étudiants font aussi référence à des personnages contemporains célèbres, tels que les chanteurs de variété Dismash Kudaibergen et Batyrkhan Shukenov ou le boxeur originaire de Qaraġandy Gennady Golovkin («GGG»). Enfin, des expressions et des mots affectueux ont été écrits et parfois des cœurs dessinés dans le territoire du Kazakhstan, témoignant du fort attachement des étudiants à leur pays. Ces références à des éléments liés directement au Kazakhstan font que le pays est finalement celui qui apparaît le plus fréquemment sur les cartes et dans les discours des étudiants.

5.2 Comment expliquer cette vision étatique du Monde ?

Le poids donné aux États et au Kazakhstan dans les représentations du Monde peut être analysé comme une manifestation de l'appropriation du modèle de l'État-nation par la jeunesse kazakhstanaise, alors que le pays existe depuis 1991 en tant qu'État indépendant et souverain et qu'il est le produit, dans sa forme actuelle, de la politique soviétique d'aménagement du territoire (Haugen, 2003). Cette vision stato-nationale peut, dans ce contexte, être perçue comme la concrétisation dans les représentations d'une rupture avec la longue période pendant laquelle le pays avait été intégré à des entités politiques impériales (Empire tsariste puis Union soviétique). Elle traduit l'assimilation de nouveaux référentiels politiques et territoriaux par les étudiants.

On peut rapprocher la place spécifique des États dans les représentations des étudiants kazakhstanais :es de la vision du Monde mise en avant par le discours officiel depuis l'indépendance, à travers la parole politique, la rhétorique journalistique ou l'enseignement dans les écoles et les universités. Les sciences sociales sont mobilisées pour contribuer à la production d'une rhétorique historicisant, légitimant et consolidant l'État-nation, prolongeant un travail entamé dès la période soviétique, à la suite du découpage de l'Asie centrale en territoires nationaux (Fourniau, 2019). L'indépendance est ainsi pensée et présentée comme le résultat d'un long processus de construction de l'étaticité dont la maille étatique est l'incarnation territoriale. Ce discours imprègne les enseignements, les programmes et les manuels scolaires. D'une part, l'attachement à la patrie est stimulé à travers la mise en œuvre de dispositifs pédagogiques spécifiques tels que l'enseignement du patriotisme avec des cours intitulés «Menìn otanym – Qazaqstan» [en kazakh, «ma patrie, le Kazakhstan»], des concours de connaissances ou de productions artistiques sur le Kazakhstan, le chant de l'hymne national, etc. D'autre part, la géographie et l'histoire du Kazakhstan – cette dernière étant entendue comme le passé des Kazakh :e :s et du territoire kazakhstanais – font classiquement l'objet d'un enseignement particulier : en classe de 9e, les élèves étudient ainsi tout au long de l'année la géographie physique et humaine du Kazakhstan. Enfin, des exemples kazakhstanais sont très souvent utilisés dans les enseignements généraux. Tout cela fait que le pays et l'État-nation occupent une place centrale à l'école, le Kazakhstan reproduisant en cela un choix politique commun à de nombreux pays. Il n'est donc pas surprenant qu'une vision stato-nationale du Monde soit assimilée et reproduite par des étudiants de la «génération Nazarbaev» (Laruelle, 2019).

L'appropriation du modèle de l'Etat-nation-territoire confirme l'efficacité de la politique de légitimation et de construction nationale mise en œuvre par le Kazakhstan depuis son indépendance, même si de nombreux référents identitaires («Kazakhstanais», «Kazakhs», etc.) coexistent parmi la jeunesse Kazakhstanaise (Blackburn, 2019; Burkhanov, 2019; Sharipova, 2019). Elle vient conforter l'idée que le Kazakhstan n'est pas seulement la patrie [en kazakh, otan] des Kazakhophones, mais aussi celle [en russe, rodina] de nombreux Russophones (Janiša-Schäfer, 2019), tant cette vision est partagée parmi les étudiants21. Cela confirme aussi que la politique nationale kazakhstanaise ne repose pas uniquement sur une conception ethnique de l'État et de la nation. Elle promeut aussi une conception civique et englobante, qui peut apparaître comme garante de la solidité du jeune État-nation (Rees et Webb Williams, 2017).

6 Conclusion

L'étude des représentations du Monde des étudiants kazakhstanais :es apporte plusieurs enseignements. D'une part, elle entérine plusieurs résultats théoriques avancés dans des travaux précédents sur les représentations de l'espace. Notre recherche confirme ainsi le centrage des cartes mentales, de même que la dimension terrestre et continentale des représentations du Monde. Ces caractéristiques fondamentales des cartes mentales expliquent pourquoi les espaces centraux de l'ensemble eurasiatique ont fait l'objet d'un traitement minutieux de la part des étudiants kazakhstanais :es, très différent de celui des étudiants extérieur :e :s à la région interrogés dans le cadre du projet EuroBroadMap qui négligeaient cette partie du Monde. Toutefois, contrairement à l'hypothèse que nous faisions en commençant cette recherche, les étudiants kazakhstanais :es ont rarement recouru au toponyme «Asie centrale» ou à une désignation proche («Asie moyenne», «Asie intérieure», etc.) pour nommer cet ensemble géographique. En revanche, notre travail a montré que l'«Eurasie» occupait une place importante dans les représentations géographiques des étudiants de la «génération Nazarbaev», ce qui renvoie à la promotion de cette notion par le discours officiel de l'État kazakhstanais depuis les années 1990 et rappelle combien le contexte idéologique influence les représentations de l'espace.

Notre étude contribue, d'autre part, à la compréhension de la construction nationale kazakhstanaise, en mettant en évidence l'appropriation du modèle de l'État-nation par les étudiants. Il est notamment possible de considérer que la très fréquente représentation du Kazakhstan sur les cartes de l'échantillon interrogé comme une région du Monde en tant que telle est en soi un signe de l'efficacité de la politique d'affirmation étatique et nationale mise en œuvre par le pouvoir kazakhstanais depuis les années 1990, d'autant que, sur de nombreuses cartes, différents signes (dessins, etc.) expriment l'affection des étudiants pour leur pays. Ainsi, notre travail démontre que le territoire de l'État kazakhstanais, indépendant et souverain depuis 1991, est pleinement intégré par les étudiants, qu'il est devenu un cadre de référence, un objet d'attachement et surtout qu'il est l'objet d'une représentation partagée par une part notable de la jeunesse kazakhstanaise.

Alors que la plupart des analyses de la construction nationale kazakhstanaise proposent des approches sociologiques, politiques ou historiques, l'étude des représentations de l'espace mondial souligne plus largement l'importance de la dimension spatiale et territoriale de ce processus. L'approche géographique permet de saisir le nouveau paradigme territorial adopté par la société kazakhstanaise désormais souveraine. En mettant l'accent sur les représentations, notre travail invite en outre à élargir notre conception de la «construction territoriale de l'indépendance » (Thorez, 2007), au-delà la seule politique d'aménagement du territoire mise en œuvre pour unifier, individualiser et insérer dans la mondialisation les États nouvellement indépendants.

Pour finir, il est important de rappeler que le contexte géopolitique régional et mondial a beaucoup changé depuis que nous avons mené notre enquête. Il est possible que la guerre à grande échelle menée par la Russie en Ukraine depuis février 2022, de même que le discours impérialiste de plusieurs responsables russes qui remettent notamment en cause la légitimité, la souveraineté et l'intégrité territoriale du Kazakhstan, transforment les représentations du Monde de la jeunesse kazakhstanaise. Dans notre enquête, les cartes dessinées n'étaient pas «géopolitiques»; elles ne montraient ni tension ni conflit avec les pays proches. Même si le Kazakhstan conserve des relations très étroites avec la Russie, sur les plans politiques et économiques, cette image serait peut-être différente aujourd'hui. Cela dit, il est peu probable que les récents événements aient remis en cause l'appropriation du modèle de l'État-nation ou l'attachement des étudiants à leur pays, le Kazakhstan.

Disponibilité des données

All raw data can be provided by the corresponding authors upon request.

Collaborateurs

CDL, YR and JT prepared the field research, designed the questionnaire, carried out the study on the field, entered the data, interpreted the results and wrote the paper.

CDL and JT processed the data. CDL carried out the mapping work.

AM and NS translated the Russian questionnaire in Kazakh, contributed to the organisation of the field work, participated to the field work, translated the Kazakh students' responses and interpreted the results.

Intérêts concurrents

Les auteurs déclarent qu'ils n'ont aucun conflit d'intérêts.

Clause de non-responsabilité

Publisher's note : Copernicus Publications remains neutral with regard to jurisdictional claims made in the text, published maps, institutional affiliations, or any other geographical representation in this paper. While Copernicus Publications makes every effort to include appropriate place names, the final responsibility lies with the authors.

Financement

Cet article a été écrit dans le cadre d'un projet financé par le Laboratoire d'Excellence «Dynamiques Territoriales et Spatiales» (2018–2020) (http://labex-dynamite.com/fr/sample-page/, la date du dernier accès : 8 janvier 2021). Ses auteurs remercient l'ensemble des collègues des universités kazakhstanaises qui les ont aidés à mettre en œuvre cette recherche.

This article was written as part of a project funded by the «Territorial and Spatial Dynamics“ Laboratory of Excellence (2018–2020). Its authors would like to thank all the colleagues at Kazakh universities who helped them implement this research.

Contrôle par les pairs

This paper was edited by Laura Péaud and reviewed by two anonymous referees.

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Turmasheva, B. K., Salish, S. S., et Pugach, V. G. : Poznanie Mira – Učebnik dlâ 4 klassa obŝeobrazatel'noj školy [Connaissance du monde – Manuel scolaire de classe de 4e de l'enseignement général], Atamura, Almaty, ISBN 978-601-331-504-1, 2019. 

Umbetaliyeva, T., Rakisheva, B., and Teschendorf, P. : Youth in Central Asia : Kazakhstan, Friedrich Ebert Foubdation, Almaty, ISBN 978-601-7407-61-2, 2016. 

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Usikov, V. V., Egorina, A. V., Usikova, A. A., et Zabenova, G. B. : Geografiâ Kazahstana – Učebnik dlâ 9 klassa obŝeobrazatel'noj školy [Géographie du Kazakhstan – Manuel pour la classe de 9e de l'enseignement général], Atamura, Almaty, ISBN 978-601-331-606-2, 2019. 

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Yessimova, A. B. and Valitova, Z. K. : Predstavleniâ studenčeskoj molodeži Kazahstana o regionah strany (opyt ispol'zovaniâ mental'nyh kart) [Les représentations des régions du pays chez les étudiants du Kazakhstan (étude des cartes mentales)], Sociologičeskie issledovaniâ, 4, 26–42, 2018. 

1

Dans le cadre du projet EuroBroadMap, des enquêtes ont été réalisées auprès d'étudiants des pays suivants : Azerbaïdjan, Belgique, Brésil, Cameroun, Chine, Egypte, France, Hongrie, Inde, Malte, Moldavie, Portugal, Roumanie, Russie, Sénégal, Suède, Tunisie et Turquie.

2

Dans l'article, les toponymes qui existent en français sont écrits sous leur forme francisée. Les noms communs et les autres toponymes sont translittérés depuis la table de translittération des langues d'Asie centrale conçue par l'Institut français d'études sur l'Asie centrale (IFEAC).

3

Le qualificatif «russophone» a plusieurs définitions (Laitin, 1998; Thorez, 2009; Cheskin et Kachuyevski, 2019). Dans cet article, il désigne l'ensemble des populations arrivées au Kazakhstan durant les périodes tsariste et soviétique, de façon spontanée, encadrée ou forcée (Thorez, 2009). Selon cette acception adaptée au contexte centrasiatique, cette catégorie ne renvoie pas seulement ni directement aux pratiques linguistiques ou aux caractéristiques ethniques, mais prend en considération des facteurs historiques, sociologiques et géopolitiques. Dans cette perspective, on compte parmi les populations russophones, les Russes, qui sont les plus nombreux, mais également, les Allemands, les Ukrainiens, les Polonais, les Biélorusses, les Coréens, les Arméniens, etc., lesquels se sont fortement russifiés durant la période soviétique (Jašina-Schäfer, 2019).

4

Le questionnaire a été validé par le Comité d'éthique de l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne avant d'être transmis à l'administration des universités kazakhstanaises en amont des enquêtes.

5

Nursultan Abiševič Nazarbaev, né en 1940, a été président du Kazakhstan de 1991 à 2019, après avoir accédé au pouvoir à la fin de la période soviétique.

6

Au recensement de 2009, les Kazakh :e :s et les Russes représentaient respectivement 63 % et 23 % des Kazahkstanais :es, mais 72 % et 16 % de la population âgée de moins de 18 ans.

7

La langue maternelle (et donc l'ethnie ou l'origine nationale) ne joue pas sur le fait de découper ou non le Kazakhstan : seuls 5 % des étudiants qui le coupent ne sont pas kazakhophones.

8

Pour une présentation du monument par le complexe «Atameken», qui expose à Astana les maquettes des «hauts lieux» du Kazakhstan, voir https://atamekenmap.kz/en/ (la date du dernier accès : 23 janvier 2024).

9

Il faut par contre souligner que les manuels scolaires et les atlas scolaires analysés dans le cadre de ce travail ne présentent pas la limite entre l'Asie et l'Europe.

10

Entretien avec le politiste Erkin Baydarov sur les questions d'intégration régionale en Asie centrale publié sur le site de l'Assemblée des peuples du Kazakhstan (https://assembly.kz/ru/media-centr/intervyu/tsentralno-aziatskiy-soyuz-integratsiya-bratskikh-respublik/, la date du dernier accèès : 23 janvier 2024).

11

Article de presse publié en février 2014 sur le site Tengrinews.kz faisant état du souhait de Nursultan Nazarbaev de consulter la population sur un potentiel changement du nom du Kazakhstan (https ://tengrinews.kz/kazakhstan_news/nazarbaev-vopros-pereimenovaniya-kazahstana-obsudit-narodom la date du dernier accèès : 23 janvier 2024).

12

Seul un manuel d'histoire ancre le pays dans la région centrasiatique, renvoyant cette dimension à une culture et surtout à un passé communs.

13

La notion d'Eurasie a été conçue au milieu du XIXe siècle par l'administration coloniale britannique en Inde pour qualifier les personnes métisses nées de parents européen et indien. C'est seulement à la fin du siècle qu'elle a acquis un sens géographique, en allemand et en russe, désignant la réunion de l'Europe et de l'Asie (Bruneau, 2018).

14

L'eurasisme est une idéologie impériale russe, construite en opposition à l'Europe, qui présente une importante dimension géographique. Elle promeut une approche civilisationnelle de la Russie qui valorise la réunion des éléments slaves et orthodoxes, d'une part, et des éléments turcs et musulmans, d'autre part, dans la définition de son identité et de son unité (Laruelle, 2001). L'eurasisme accorde une place centrale à la notion d'empire qu'il contribue à réhabiliter en tant que principe d'organisation politique.

15

En 2005, Nursultan Nazarbaev a ainsi publié un livre sur la nouvelle capitale kazakhstanaise, Astana, intitulé «Au cœur de l'Eurasie» [rus. V serdce Evrazii]

16

Version numérique de la Constitution du Kazakhstan, sur le site officiel de la Présidence de la République du Kazakhstan (https://www.akorda.kz/ru/official_documents/constitution, la date du dernier accès : 23 janvier 2024).

17

Au recensement de 1989, les Kazakh :e :s ne représentaient que 39,7 % de la population, bien qu'ils soient devenus la première nationalité de la république pour la première fois depuis le recensement de 1926.

18

Pour plus d'informations, voir le site de la Turkic World Educational and Scientific Cooperation Organisation (TWESCO) (https://twesco.org/, la date du dernier accès : 23 janvier 2024).

19

L'Australie est un cas particulier : bien qu'étant un État, elle est souvent considérée comme un continent dans les manuels et atlas scolaires kazakhstanais, en raison de sa superficie et de son caractère insulaire. Comme durant la période soviétique, elle est alors en général associée à l'Océanie et quelquefois indiquée «Australie – Océanie».

20

Si le phénomène existe dans les pays enquêtés précédemment, il reste marginal notamment du fait que les étudiants qui étaient interrogés traçaient majoritairement des régions (et pas des pays) et qu'il est plus compliqué de mobiliser des figures ou des évènements historiques à l'échelle régionale. On a toutefois trouvé de rares références à Napoléon ou à l'empire romain pour nommer la région européenne.

21

Les résultats de notre enquête n'ont pas montré que les étudiants russophones avaient une représentation du Monde différente de celle des étudiants kazakhophones.

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Short summary
In a 2010 survey, Central Asia was absent from the representations of the World of students in 18 countries. The survey was repeated in 2018–2019 in Kazakhstan, on the assumption that Central Asia would be represented by the students. The results support the theory of social representations of space, but shed some original light on the issue, particularly the importance of states in the way the world is divided up.